Les soins de première ligne sont la pierre angulaire du système de santé. Les systèmes de santé les plus performants dans le monde s’appuient sur des soins de première ligne bien coordonnés et accessibles. Mais au Québec, les soins de première ligne font face à des enjeux persistants. Plus de 2 millions de Québécois n’ont pas de médecin de famille ou d’infirmière praticienne spécialisée (IPS) attitrée. Nous sommes parmi les pires pays au monde sur cet aspect et parmi les pires provinces. Ce n’est pas acceptable.

Une première ligne solide est la base d’un système de santé performant, c’est-à-dire capable d’améliorer l’état de santé de toute la population et l’expérience des usagers tout en optimisant l’utilisation des ressources. Elle permet de réduire la mortalité néonatale, les hospitalisations, les consultations aux urgences, et les coûts de santé. Elle contribue également à réduire les écarts de santé entre les plus riches et les plus pauvres.

Ces bénéfices s’expliquent par le rôle crucial que jouent les professionnels de première ligne : ils ne vous soignent pas seulement si vous tombez malade, mais offrent des services préventifs, dépistent et gèrent des maladies chroniques, comme le diabète et l’asthme. Ils offrent une prise en charge globale et personnalisée au fil du temps, facilitent et coordonnent l’accès à d’autres services, et limitent l’utilisation de soins spécialisés coûteux.

L’automne dernier, plus de 9000 Canadiens, dont 2500 Québécois, ont répondu à un sondage dans le cadre du projet de recherche NosSoins⁠1. Ce projet pancanadien vise à recueillir l’avis des citoyens pour améliorer nos soins de première ligne. Sans grande surprise, le Québec se situe en tête de liste des provinces avec la plus grande proportion d’adultes déclarant ne pas avoir de médecin de famille ou d’IPS (31 % contre 22 % pour l’ensemble du Canada). Mais d’autres comparaisons sont aussi désolantes : près de 40 % des Québécois sans médecin de famille ont dû payer pour obtenir des soins, soit le double de la moyenne canadienne (21 %).

Trouver un rendez-vous est déjà difficile quand on n’a pas de médecin de famille, être contraint de payer de sa poche pour compenser un manque d’accès est inacceptable.

Ces frais sont une barrière additionnelle pour les plus démunis, alors que ce sont eux qui bénéficient le plus d’un accès facile aux soins de première ligne.

Mais la bonne nouvelle, c’est que les résultats du sondage NosSoins montrent aussi que la très grande majorité des Québécois sont ouverts à de nouveaux modèles de pratique pour améliorer l’accessibilité aux soins.

Un modèle basé sur le lieu de résidence

Plus que dans n’importe quelle autre province, les Québécois croient que les équipes de première ligne devraient fonctionner comme le système d’éducation publique et accepter toute personne qui vit dans le quartier. Trois répondants sur quatre sont même prêts à devoir changer de professionnel en cas de déménagement en échange d’un tel modèle basé sur le lieu de résidence. Plus de neuf répondants sur dix seraient ouverts à consulter la même IPS pour la plupart de leurs besoins, sauf lorsqu’elle estime qu’un avis médical est nécessaire. Or, seulement 3 % des Québécois interrogés ont une IPS comme professionnel de santé principal.

Ces résultats témoignent de la forte volonté des Québécois d’avoir un système de santé plus accessible et équitable. Ils témoignent aussi de leur ouverture à consulter différents professionnels.

Récemment, 500 000 personnes ont été inscrites collectivement à un GMF plutôt qu’à un professionnel unique. Des guichets d’accès à la première ligne (GAP) ont été créés pour les patients en attente d’un médecin de famille afin de répondre à leurs besoins et faciliter leur navigation dans le système de santé. Simultanément, le nombre de patients inscrits à un médecin de famille unique a diminué, notamment en raison de nombreux départs à la retraite et de la difficulté d’attirer des médecins d’autres provinces ou du secteur privé. Les exigences de contribution aux soins hospitaliers ou dans d’autres secteurs (les « activités médicales particulières », plus importantes au Québec qu’ailleurs au Canada), le modèle de paiement à l’acte qui n’encourage pas la délégation à d’autres professionnels et le déficit de soutien administratif entravent également la prise en charge par les médecins de famille au Québec.

Les inscriptions collectives et les GAP peuvent améliorer l’accessibilité à court terme, mais surtout sous la forme de visites intermittentes, au détriment de la continuité des soins. Cela contribue paradoxalement à une augmentation des visites aux urgences, bien plus coûteuses. Une prise en charge à long terme, continue et globale est cependant essentielle pour maximiser la qualité et l’efficacité de la première ligne.

Les Québécois désirent des soins accessibles près de chez eux et sont prêts à adopter des modèles innovants qui favorisent la collaboration interprofessionnelle. Il est impératif de repenser les soins de première ligne afin d’améliorer l’affiliation à un professionnel et une équipe interprofessionnelle et d’améliorer l’accessibilité en modernisant l’organisation des services de santé. Plusieurs solutions existent pour favoriser un accès équitable sans menacer la continuité des soins, tous deux ingrédients essentiels d’une première ligne performante. Dans la mise en œuvre de ces solutions, il faudra s’assurer de prendre en compte la contribution capitale de la première ligne à la santé de la population, de la soutenir avec des ressources conséquentes, et de valoriser les professionnels et médecins de famille qui la portent.

* Cosignataires : Mylaine Breton, professeure agrégée au département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance clinique des services de première ligne ; Neb Kovacina, médecin de famille à l’hôpital St. Mary de Montréal et directeur du programme d’amélioration de la qualité au département de médecine familiale de l’Université McGill

1. Consultez les résultats du sondage NosSoins (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion