Depuis quelques jours, il y a un vif débat sur la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEE), citons d’une part le texte de Simon Viviers dans Le Devoir du 12 mai⁠1 et de l’autre celui de deux économistes, Catherine Haeck et Pierre Fortin, dans La Presse du 20 mai⁠2. Leur texte aborde plusieurs sujets, mais on est en droit de se demander quelle expertise scientifique ont ces deux économistes pour juger des interventions pertinentes entre autres pour traiter les troubles de l’inattention chez les élèves ou de la valeur des méthodes pour l’enseignement grammatical.

La ségrégation scolaire répondrait aux besoins des enfants !

Plusieurs commentateurs avalisent la position du ministre Drainville qui nie l’existence du système dit à trois vitesses, que nous devrions appeler par son nom : un système scolaire ségrégué où la population scolaire n’est pas divisée selon les aptitudes et les désirs de développement de chaque enfant, mais à partir des conditions économiques, sociales et culturelles des parents, ce qui ne laisse aucun choix aux plus démunis.

La comparaison avec les autres provinces canadiennes, souvent utilisée comme argument pour nier cette ségrégation, ne va pas de soi, car elle dépend de ce qu’on nomme la « réussite », essentiellement à partir des taux de diplomation et des notes à des examens longuement bachotés et critiqués par des experts depuis longtemps.

Cette « réussite » est devenue le mantra de la CAQ et de tous ceux qui considèrent l’éducation comme une marchandise.

Pour l’actuel gouvernement et ses partisans, l’éducation doit être gérée selon le mode de gestion axé sur les résultats (GAR) qui constitue la nouvelle doxa pour gouverner l’État, ses institutions et ses services, comme le font les entreprises privées.

Le but de l’éducation scolaire, réussir ?

Mais le but de la vie et de l’éducation est-il de « réussir », selon le sens que donnent les défenseurs de l’INEE à ce terme, ou plutôt de se développer le plus globalement possible par l’accès aux connaissances produites par l’humanité et de participer au développement d’une société plus juste, équitable et responsable, qui vise la survie de tous les êtres vivants ?

De plus, les défenseurs de l’INEE n’ont toujours pas expliqué ni comment ni pourquoi l’INEE contribuera à l’avancement des connaissances en éducation mieux que ce que font des experts en sciences de l’éducation depuis des décennies. Comme si les avis du Conseil supérieur de l’éducation, les articles scientifiques publiés par des spécialistes universitaires en éducation et leur vulgarisation dans les revues pédagogiques ne faisaient pas déjà ce travail !

Ce que cet Institut fera, par contre, ce sera de ne diffuser que les résultats des recherches qui correspondent à sa méthodologie de recherche copiée sur celle des sciences dites exactes.

Plus de 40 ans de recherches et d’expérimentations en didactique de la grammaire

Ces économistes ont affirmé qu’aucune recherche n’indiquerait que « la nouvelle approche » dans la façon d’enseigner la grammaire au primaire et au secondaire prescrite dans les programmes d’études, il y a près de 30 ans, permettrait de meilleurs apprentissages.

Pourtant, depuis les années 1980, de nombreux linguistes et didacticiens de la langue d’Europe francophone et du Québec ont mené des recherches à ce sujet, les ont présentées pour discussion dans des colloques scientifiques, ont publié des centaines d’articles scientifiques, de nombreux ouvrages, y compris de vulgarisation scientifique. Nous y avons travaillé pendant près de 40 ans et savons de quoi il retourne.

Affirmer, d’une part, vouloir soutenir la recherche scientifique et, de l’autre, diffuser d’aussi importants préjugés est plus qu’inquiétant.

En éducation, les données scientifiques doivent toujours être contextualisées.

En matière de relations humaines et de rapports sociaux, les généralisations produites par des recherches réalisées à grande échelle ne peuvent être appliquées mécaniquement. Elles doivent être interprétées et traduites dans des contextes divers et singuliers. C’est là l’essentiel du travail d’un véritable professionnel qui exerce, en s’appuyant sur des données scientifiques, son jugement dans le meilleur intérêt des élèves.

L’école est au cœur d’un projet de société et devrait viser le développement d’êtres libres et responsables socialement, aussi ne devrait-elle pas être prise en otage par le pouvoir du moment. Les partisans de l’INEE prétendent vouloir aider les élèves et leurs enseignants, mais ils ignorent ceux et celles qui mènent des recherches sur l’éducation depuis des décennies à cette fin.

1. Lisez le texte de Simon Viviers dans Le Devoir 2. Lisez la lettre de Catherine Haeck et Pierre Fortin dans La Presse Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion