Le projet de loi 23 en éducation, en plus d’accorder un pouvoir démesuré au ministre de l’Éducation et d’éroder un peu plus celui des enseignants et enseignantes, témoigne d’une profonde méconnaissance non seulement du terrain, mais aussi des modalités de preuve qui ont pignon sur rue dans le domaine des sciences humaines.

La création d’un Institut d’excellence carburant aux résultats dits probants⁠1 typiques d’une approche expérimentale et donc peu sensibles à ce que les personnes ont de singulier, y compris les pratiques langagières et culturelles avec lesquelles elles donnent un sens à leur expérience scolaire, est éloquente. Est aussi éloquent le choix, encore là exclusif, d’un type d’enseignement dit explicite, comme si, rappelle le didacticien Yves Reuter (2019), une telle pédagogie n’était pas illusoire, entre autres parce que supposant un impossible contrôle incessant « de toutes les caractéristiques sociales de la communication », comme l’ont bien montré il y a déjà plus de 50 ans les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leur ouvrage toujours d’actualité La reproduction (1970).

En l’occurrence, ce projet de création d’un institut qui entend restreindre les modalités de preuve acceptables, définir ce qui compte comme science et, du coup, promouvoir sans le dire une conception très positiviste des sciences ne tient pas la route.

Si jamais il se réalisait, cela impliquerait que, dorénavant, les personnes autorisées à dire, de façon fiable et légitime, le monde de l’éducation, le monde de l’école, devront adopter la novlangue des résultats probants et une idée antédiluvienne de science. Plutôt que de s’intéresser à la variété des expériences que les élèves emportent à l’école et vivent dans ses murs ou, encore, aux dispositifs de normalisation, de contrôle, de visibilité par lesquels l’École crée de l’échec, elles devront s’en tenir à des corrélations entre des variables d’objets purifiés, aplatis, dénués d’histoire.

Par ailleurs, la création d’une telle instance sera déstructurante, notamment en ce qui a trait à l’affectation des fonds de recherche déjà peu généreux dans le monde de l’éducation. Elle le sera aussi pour ces centres et groupes de recherche qui n’ont pas attendu le mouvement des résultats probants pour se mettre à la tâche et éclairer de façon étayée, selon diverses approches et méthodes, les multiples contingences et implicites qui formatent la situation éducative et en proposer, entre autres, une connaissance de l’intérieur.

Or, selon la perspective mécaniste qui sous-tend ledit projet, cette diversité est mise au ban au profit d’une approche unique et unitaire, comme ces monocultures en agriculture dont les ravages sont bien connus. A-t-on vraiment besoin de cet institut ? D’un tel dinosaure ?

1. L’expression « données probantes » est malheureuse, ces « données » n’étant pas données, mais bel et bien travaillées, obtenues, comme aimait à dire Bruno Latour, leur production impliquant inévitablement des choix, qu’il s’agisse des revues explorées, de leur politique d’édition ou des modèles statistiques retenus, par exemple.

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