Le 28 mai prochain, les électeurs turcs retourneront une deuxième fois aux urnes afin de choisir leur futur président. Un observateur optimiste présenterait le premier tour de l’élection présidentielle comme un indicateur de la vitalité démocratique en Turquie. Frôlant un taux de participation de 90 %, les Turcs ont massivement voté lors ce premier tour.

Nous pouvons aussi apercevoir une grande diversité de partis politiques au sein de l’alliance populaire et de l’alliance de la nation, les deux grandes coalitions politiques de cette élection. Un observateur plus pessimiste s’inquiéterait plutôt de la division des votes (50 % en faveur d’un statu quo et 45 % en faveur d’un changement) et anticiperait des tensions sociales.

Peu importe le résultat électoral de ce second tour, la répression de l’opposition kurde, comme d’autres problèmes cycliques, perdurent en Turquie. Une nouvelle présidence peut apporter un « vent de fraîcheur », mais sans de véritables réformes des pouvoirs présidentiels, les histoires d’abus risquent de se répéter.

Une revitalisation de la démocratie en Turquie ?

PHOTO YASIN AKGUL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Affiche du chef du parti république du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu

Au pouvoir depuis 2002, le parti du développement et de la justice (AKP) doit affronter pour la première fois une opposition parlementaire moins fragmentée : l’alliance de la nation. Même si ces partis de l’opposition prônent des positions idéologiques différentes, ils se rallient tous derrière le chef du parti république du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu.

Il faut souligner que l’actuel président turc, Recep Teyep Erdogan, et son parti l’AKP, dirige le pays d’une « main de fer ». En 2013 et en 2015, son parti a notamment été fortement critiqué pour la répression violente des manifestations contre un projet immobilier près du parc Gezi.

L’AKP a aussi été accusé d’adopter des mesures discriminatoires menant à l’arrestation et au congédiement de plus de 250 000 fonctionnaires sous des motifs non fondés de terrorisme après le coup d’État raté en juillet 2016. L’alliance de la nation représente donc une forme de « dégagisme », dans la mesure où la majorité de l’opposition parlementaire s’unit pour renverser la présidence d’Erdogan (et indirectement l’alliance populaire). Toutefois, derrière cette apparente unité, des divisions sociales persistent en Turquie.

L’opposition parlementaire kurde : l’éléphant dans la pièce

L’utilisation du terme nation dans l’alliance de la nation n’est pas sans ironie. En fait, aucun parti kurde ne se retrouve dans les deux grandes coalitions. Aussi, l’ancien chef du parti kurde (le HDP), Selahattin Demirtaş, demeure emprisonné. Pourtant, les Kurdes représentent environ 25 % de la population de la Turquie selon l’Institut kurde de Paris. Il manque un grand joueur à cette élection.

Kemal Kiliçdaroglu tout comme d’autres figures politiques de l’alliance de la nation promettent de régler la situation. Ils s’engagent entre autres à mettre fin aux conflits avec les Kurdes. Alors, où le problème ?

Ce n’est pas la première fois que les politiciens turcs instrumentalisent la cause kurde pour obtenir des gains électoraux. En 2002, l’AKP avait tenu des promesses similaires.

Plus que des paroles, l’AKP avait même aboli l’état d’urgence dans les provinces kurdes, instauré depuis 1987 afin de limiter la mouvance séparatiste kurde. Des discussions avec l’opposition kurde avaient aussi abouti à l’ajout de nouveaux droits culturels aux minorités kurdes, juives et alévis en 2005. Peu avant le Printemps arabe, la lutte entre les forces kurdes et le gouvernement turc avait quand même repris.

Entre la volonté de dialoguer et l’abus récurrent des pouvoirs présidentiels

L’opposition kurde incarne davantage un cas courant qu’une exception en Turquie. Au fil de l’histoire, de nombreux mouvements « dérangeants » ont été bannis comme les gülenistes après 2016 ou les partis islamiques durant les années 1990. D’abord ouverts aux dialogues, les présidents turcs usent souvent de leurs pouvoirs pour mettre fin à l’opposition politique. La constitution de 1982 a maintes fois été amendée, mais un flou persiste concernant l’usage de la force durant une crise sociale.

Après avoir aboli l’état d’urgence en 2002, l’AKP a instauré de nouvelles mesures exceptionnelles en réponse au coup d’État raté de juillet 2016. La loi sur le terrorisme, adoptée en 1991, n’a pas été profondément réformée. Les arrestations arbitraires font encore partie de l’usage courant. L’emprisonnement de Demirtaş l’illustre. Dénonçant les pratiques abusives de son prédécesseur, le président sortant finit toujours par s’accommoder des outils répressifs.

Sans douter des véritables intentions du CHP et des autres partis de l’alliance de la nation, le problème kurde (comme d’autres problèmes) persiste, peu importe les intentions initiales du président. L’objectif n’est pas de contester les changements, mais de souligner que le système politique turc semble les freiner et encourage au contraire les abus de pouvoir. Espérons que le président désigné modifie un peu les règles du jeu et permette à tous de participer. La société turque sera alors victorieuse.

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