« On est rendu à votre cas… » C’est la salle d’opération qui appelle. Je dois plisser les yeux pour voir l’heure affichée sur l’écran de l’horloge : 2:50 du matin. La nuit précédente a aussi été écourtée pour un autre cas.

Mais le patient pour lequel je suis appelé cette nuit est en attente de chirurgie depuis trois jours. Sa situation neurologique est stable, pas d’inquiétude, mais tout de même. Il est à jeun depuis trois jours. Ça ne me semble pas très acceptable… Le problème, c’est que je suis censé faire une autre chirurgie assez complexe dans quelques heures, vers 10 h le matin, un cas qui prendra entre quatre et six heures. La veille lorsque j’ai rencontré le patient, ce dernier m’a spontanément lancé : « Dormez bien avant mon opération ! »

« Ne vous en faites pas » fut ma réponse. Mais là, dans le milieu de la nuit, en y réfléchissant, je me dis que cela n’a pas vraiment de sens.

Il y a un problème de gestion dans la priorisation des chirurgies. Me lever la nuit pour faire une urgence, pas de questions, pas de problèmes, c’est mon boulot. Mais pour faire une chirurgie élective, alors que j’ai déjà un gros cas de planifié le lendemain, cela me semble un non-sens.

Au-delà des considérations pour mon sommeil, il me semble que ce n’est pas bien servir aucun des deux patients. À qui la faute ? À personne, apparemment. Il manque de personnel, voilà le problème à la base de nos maux.

Mais nous devons aussi admettre un problème de gestion MAJEUR dans la dispensation des soins, un manque de planification et un manque de considération envers les soignants. Et ce qui dérange le plus, c’est le manque d’« imputabilité » !

Ce n’est JAMAIS la faute de personne. Même Gaétan Barrette, en partie responsable de la déconstruction du système de santé actuel, malgré ce qu’il clame, est maintenant chroniqueur politique ! Manque d’« imputabilité », je vous dis !

Vases clos

Cela se constate à tous les niveaux dans notre système de santé surcloisonné, géré dans des vases clos. Quelques exemples :

L’ordinateur qui me permet de consulter des dossiers de patients dans mon bureau est régulièrement dysfonctionnel. J’estime être incapable de me connecter au réseau et de voir les images de patients une journée sur deux. Je contacte le service d’aide informatique de l’hôpital. On me répond ne rien pouvoir pour moi, car mon bureau est desservi par la faculté. Je contacte le service informatique de la faculté, on me répond que le problème vient du réseau de l’hôpital.

Deux mots résument les principaux problèmes de notre système de santé : cloisonnement et « non-imputabilité ».

On reçoit à 18 heures d’avis une note nous affirmant que les cliniciens auront désormais la charge d’ouvrir leurs demandes de clinique dans l’ordinateur (vous savez, celui qui marche une fois sur deux !) ; c’était jadis la tâche d’agents administratifs. De plus, nous devrons dorénavant consigner nos notes dans l’interface informatique plutôt que sur des feuilles de consultation comme nous l’avons toujours fait.

La note expliquant cette démarche a 24 pages de consignes… quelqu’un (on ne saura jamais qui, « non-imputabilité ») a même eu le temps de pondre un organigramme détaillé de la procédure. Mais PERSONNE (cloisonnement) n’a pensé aviser les cliniciens avec quelques jours d’avance.

Épuisement professionnel

Une note interne de mon établissement faisait récemment état d’un nombre de disponibilités accrues pour les chirurgies dans les prochains mois. Or, l’épuisement du personnel au bloc opératoire (pas pris en considération dans cette planification, cloisonnement) ne cesse d’augmenter, ce que nous constatons par des départs et des congés maladie.

Nous anticipons tous une CATASTROPHE dans la disponibilité des salles de chirurgie pour l’été. Le ministre Dubé peut répéter autant qu’il le veut que la réforme à venir permettra une réduction dans les listes d’attente, les nôtres ne font et ne feront qu’augmenter !

Le manque d’intégration des ressources informatiques à l’échelle de la province est tragique ! POURQUOI n’y a-t-il JAMAIS EU de tentative d’arrimage de toutes ces ressources ? Et si cela a été tenté, POURQUOI EST-CE UN ÉCHEC ? Nous ne le saurons jamais… (« non-imputabilité »).

Il y a quelques mois, j’opère d’urgence un patient transféré de Cowansville avec un saignement dans son cerveau. Incapable d’afficher les images du CT scan fait à Cowansville. Une ressource informatique interpellée sera incapable de solutionner le problème. On devra répéter l’examen dans notre établissement avant d’opérer le patient, gaspillant 30 précieuses minutes pour la santé de son cerveau, en plus de générer des coûts inutiles.

Si un de mes patients présente une complication après une chirurgie, J’EN SUIS LE RESPONSABLE (« imputable »). Qui sont les acteurs « imputables » dans la gestion du système de santé, qui n’ont pas su voir venir et anticiper la crise que nous vivons et qui peinent à en corriger la trajectoire ?

Moi, j’aimerais bien le savoir. Et vous ?

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