J’ai récemment eu l’occasion de prendre part, en compagnie notamment des mairesses de Montréal et de Sherbrooke, à une mission d’étude sur le logement à Vienne. La capitale autrichienne est un modèle mondialement reconnu en matière d’habitation : 60 % de sa population habite dans un logement public ou à but non lucratif à différents prix en fonction des besoins des ménages ! L’abordabilité généralisée qui en découle place régulièrement Vienne en tête des classements mondiaux pour la qualité de vie des résidants et résidantes.

Comme Rome, l’abordabilité du parc immobilier viennois ne s’est pas construite en un jour : c’est le résultat de plus de 100 ans d’investissements délibérés dans le logement à but non lucratif. Depuis les années 1920, les logements qui ont été construits à Vienne sur des terrains publics ou à l’aide de subventions ont été détenus par des organismes publics ou à but non lucratif. Ces organisations, qui s’apparentent à ce qu’on appelle au Québec l’économie sociale, ont une mission de développement continu de logements et ajoutent en moyenne quelque 5000 nouveaux logements durablement abordables à Vienne chaque année.

Plusieurs ingrédients font de la recette de Vienne le succès qu’on lui connaît en matière d’abordabilité résidentielle : le financement stable et prévisible aux organismes notamment au moyen des outils de la fiscalité, des mesures réglementaires et urbanistiques visant à obtenir ou réserver des terrains à bon prix pour le logement social et abordable, la construction de projets de qualité et écologiques où il fait bon vivre, pour ne nommer que ceux-là.

Cet écosystème conjugué à la force des organismes préservant dans le temps le caractère abordable des logements qu’ils gèrent font en sorte qu’une importante proportion des loyers sur le marché ne sont pas soumis à la pression de la financiarisation de l’immobilier qui pousse ici les prix vers le haut. C’est même le contraire qui se produit : la forte proportion de logements à but non lucratif apaise le marché, de sorte que les logements privés à Vienne sont, eux aussi, moins chers que dans des villes voisines comparables.

L’abordabilité à perpétuité comme critère cardinal

Avec moins de 5 % de logements sociaux et communautaires, le Québec est bien sûr loin derrière en matière de logement à but non lucratif, et ce n’est pas demain la veille que nous comblerons l’écart avec la capitale autrichienne. Nous pouvons toutefois nous en inspirer et mettre en place des politiques publiques qui favorisent le développement d’un parc immobilier qui demeurera abordable à très long terme.

Le moment est propice pour réorienter nos actions en ce sens puisque nous vivons présentement un moment charnière en habitation.

Plusieurs chantiers d’envergure sont en cours, notamment une réforme de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, la mise en œuvre de la Politique nationale sur l’architecture et l’aménagement du territoire, et la préparation d’un nouveau Plan d’urbanisme et de mobilité à Montréal. Les orientations que nous choisissons aujourd’hui détermineront la trajectoire du secteur de l’habitation pour les décennies à venir.

Pour suivre la voie tracée par Vienne, il faut faire de l’abordabilité durable des logements construits le critère cardinal qui guide l’action publique en matière d’habitation. Cette préférence explicite pour le développement d’un parc immobilier qui échappe pour de bon à la logique spéculative du marché doit s’exprimer de façon transversale dans nos politiques et percoler, certes, dans les programmes de financement, mais aussi dans les règlements d’urbanisme et dans les décisions quant à l’utilisation des nombreux terrains publics à redévelopper.

À défaut de choisir cette voie, nous resterons prisonniers de ce cercle vicieux où nous encourageons aujourd’hui la construction des logements trop chers de demain.

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