Les problèmes dans le système d’éducation sont nombreux, nous le savons, mais quels sont ceux qui, actuellement, affectent dramatiquement notre capacité, comme société, à offrir à nos enfants et à nos concitoyennes et concitoyens une éducation à la hauteur de nos aspirations collectives ? Pourquoi certains groupes d’élèves se retrouvent sans enseignante qualifiée ? Ou sans enseignante tout court ? Pourquoi certains groupes d’élèves voient les enseignantes se succéder les unes après les autres tout au long de leur année scolaire ? Pourquoi les parents doivent-ils se tourner vers le privé pour obtenir des services d’aide pour leurs enfants ?

Les conditions d’exercice extrêmement difficiles, les recherches scientifiques le démontrent, font fuir plus du quart des enseignantes avant même qu’elles aient exercé pendant cinq ans, voire plus tôt. Les congés de maladie se multiplient et les plus âgées partent avant l’âge de la retraite, usées par la pénibilité persistante de leurs conditions de travail. Les centres de services scolaires peinent à combler les postes de psychologues et de techniciennes en service de garde, et les directions, devenues une courroie de transmission, commencent à déserter l’école publique pour le privé.

Les actions du ministre de l’Éducation devraient, de manière urgente, améliorer les conditions d’exercice des personnels scolaires. C’est une évidence. Or, c’est précisément l’inverse que la réforme qu’il propose risque d’engendrer. De fait, parmi les caractéristiques de l’environnement de travail reconnues pour mener à la dégradation de la santé mentale des personnels scolaires, leur absentéisme, leur intention de partir, voire leur décrochage professionnel, on retrouve notamment le manque de reconnaissance, la faible latitude décisionnelle, les fortes demandes psychologiques et l’impossibilité de trouver un sens à son travail.

Tout indique que le projet de loi aggravera ces risques psychosociaux du travail alors que ce même gouvernement a adopté, en 2021, un projet obligeant les organisations à prévenir ces mêmes risques.

Manque de reconnaissance : la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) et les mécanismes prévus pour orienter la formation continue du personnel enseignant traduisent un manque de reconnaissance et de confiance flagrant envers le professionnalisme des enseignantes et des équipes-école.

Faible latitude décisionnelle : la création de l’INEE ouvre la voie à un empiètement majeur sur l’autonomie professionnelle des enseignantes. De son propre aveu, le ministre, avec les pouvoirs que lui conférerait cette loi, pourrait vouloir imposer l’adoption de pratiques pédagogiques précises (reconnues « efficaces » par l’INEE) dans des écoles qui présentent des taux de réussite trop faibles pour lui.

Demandes psychologiques élevées et non-sens du travail : la réforme proposée, avec son « tableau de bord » de données visant à surveiller le parcours des élèves, viendra accentuer les mesures de reddition de comptes déjà en place sur la réussite scolaire telle qu’elle est mesurée par des évaluations chiffrées. Ces mesures mettent pourtant de la pression indue sur les enseignantes alors qu’elles ne contrôlent pas les facteurs qui prédisent la réussite (par exemple, défavorisation sociale et économique, manque de moyens pour faire le travail, etc.). Réduire leur travail à de telles évaluations chiffrées risque fort, en outre, de contribuer au non-sens de l’exercice de leur métier.

Appel aux parlementaires

Alors que le projet de loi 23 prétend, avec la création de l’INEE, vouloir mettre la science au cœur des pratiques pédagogiques et gestionnaires qui s’appliquent en éducation, il fait fi des connaissances scientifiques disponibles sur les effets du type de mesures qu’il sous-tend.

Nous faisons appel à la lucidité des parlementaires. Cette réforme risque de plonger le système d’éducation déjà fortement fragilisé dans une situation de crise sans précédent. Il est encore temps d’écarter ce projet de loi.

Dans la foulée, afin de baser les décisions collectives sur des « données probantes », nous invitons le ministre Bernard Drainville à profiter de la négociation actuelle des conventions collectives en éducation pour améliorer les conditions de travail de celles et ceux qui s’occupent de transmettre à nos enfants au quotidien notre culture et les connaissances nécessaires pour favoriser leur développement intégral et celui de la société. Voilà le geste le plus urgent à faire pour répondre aux enjeux auxquels fait face notre système éducatif.

* Cosignataires : Nancy Goyette, professeure au département de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières ; Mylène Leroux, professeure titulaire au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais ; Jessica Riel, professeure titulaire au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal ; Céline Chatigny, professeure titulaire retraitée, associée au département d’éducation et formation spécialisées de l’Université du Québec à Montréal ; Geneviève Baril-Gingras, professeure titulaire au département des relations industrielles de l’Université Laval ; Frédéric Yvon, professeur au département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal ; Marie-France Maranda, professeure titulaire retraitée de l’École de counseling et d’orientation de l’Université Laval ; Louise St-Arnaud, professeure titulaire à l’École de counseling et d’orientation de l’Université Laval ; Angelo Soares, professeur titulaire au département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal ; Jean-Noël Grenier, professeur titulaire au département des relations industrielles de l’Université Laval ; Vanessa Rémery, professeure au département d’éducation et formation spécialisées de l’Université du Québec à Montréal ; Emmanuel Poirel, professeur au département d’administration et fondements de l’éducation de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal ; Catherine Le Capitaine, professeure titulaire au département des relations industrielles de l’Université Laval

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