L’auteure s’adresse au premier ministre du Canada, Justin Trudeau

Monsieur Trudeau, j’ai eu plusieurs occasions de vous rencontrer depuis que vous êtes chef du Parti libéral du Canada et premier ministre. Or, la majorité de ces rencontres ont eu lieu lors des commémorations du féminicide de Polytechnique tenues annuellement le 6 décembre. Lors de ces rencontres, j’ai cru en votre engagement à interdire les armes d’assaut.

Je vous ai cru parce que je suis convaincue que l’homme, le mari, le père que vous êtes souhaite sincèrement agir contre ce fléau de notre société que sont ces armes.

Or, vous êtes d’abord premier ministre. Les impératifs de la gouvernance de l’État vous confrontent. J’en suis consciente.

Pour ma part, M. Trudeau, je ne peux pas négocier sur cette question. C’est un engagement de sang que j’ai pris.

Le 6 décembre 1989, le dernier regard d’Annie Saint-Arneault s’est imprimé sur ma rétine. Le son du dernier souffle de Barbara Daigneault résonne toujours à mes oreilles. Je sens encore les corps d’Hélène Colgan, Anne-Marie Lemay et Nathalie Croteau toucher le mien, notre sang s’est mêlé ce soir-là.

J’ai pris la parole le 8 décembre 1989, pour demander à mes consœurs et confrères de revenir, de recréer Polytechnique. J’ai dit aux filles du Québec qui ont l’envie des disciplines scientifiques de ne pas freiner leurs ardeurs et de se joindre à nous pour étudier à Polytechnique. Il fallait que la vie reprenne le dessus.

Le souhait de la majorité

C’est pour cette raison que j’étais à la conférence de presse de l’Association des étudiants de Polytechnique en janvier 1990 au côté de Heidi Rathjen qui amorçait alors le combat d’une vie. Ce jour-là, j’ai rencontré Suzanne Laplante-Edward, qui, bien que pleurant la perte d’Anne-Marie, était déterminée à travailler au renforcement des lois sur les armes à feu afin de protéger d’autres Québécois et Canadiens contre l’horreur d’une autre fusillade de masse. Notre demande était alors l’interdiction des armes d’assaut. Nous n’avons jamais cessé de la réclamer. Et, vous devez le savoir, depuis toujours les Canadiens appuient dans une large majorité cette demande. Les armes d’assaut n’ont pas leur place dans nos communautés, dans les mains de citoyens ordinaires.

Je ne peux pas accepter de demi-mesure concernant l’interdiction des armes d’assaut, je m’en suis fait le serment à la mémoire de mes consœurs. C’est une demi-mesure qui a été proposée lundi dernier par le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

Comprenez-moi, je sais que le projet de loi C-21 contient des mesures fortes et mérite d’être adopté. Mais comme notre demande d’origine porte sur les armes d’assaut, nous ne pouvons pas laisser tomber cet aspect.

Je suis toujours convaincue qu’au fond de votre cœur vous souhaitez réellement interdire les armes d’assaut. Je suis même convaincue que Jagmeet Singh et Marco Mendicino comme Bill Blair avant lui le souhaitent de la même manière. Il doit exister une approche qui complète la liste des armes d’assaut prohibées et qui fait en sorte que les limites de la nouvelle définition seront comblées. Vous pouvez encore tenir les promesses que vous avez faites aux survivants et aux membres des familles des victimes du massacre de Montréal, ainsi qu’à la majorité des Canadiens qui souhaitent voir ces armes prohibées et qui vous applaudira d’avoir eu le courage de gouverner.

Et si, malgré tout, vous persistez dans la voie actuelle, sachez que je serai là pour observer l’évolution de la situation, la hausse du nombre d’armes en circulation au Canada, la hausse de la violence armée, la hausse des féminicides et, malheureusement, les vraisemblables tueries de masse. Je serai là, avec mes consœurs au cœur, pour observer les effets de vos décisions, et je serai le porte-voix de ceux qui ont demandé et qui demandent toujours qu’on les rassure qu’ils sont en sécurité devant la violence par armes à feu.

Le féminicide du 6 décembre n’est pas un concept abstrait dans ma vie. C’est un jour marqué dans ma chair qui fait la femme que je suis. Je ne peux pas négocier avec ça.

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