Chaque année au Québec, des centaines de personnes, pour la plupart des jeunes femmes, sont victimes de violences sexuelles dans le cadre de leur travail.

Pour obtenir justice, elles doivent mobiliser les recours existant en droit du travail, lesquels sont mal adaptés aux particularités des violences sexuelles et ne répondent pas aux besoins des victimes. À l’instar des réformes apportées en droit criminel et du Tribunal spécialisé récemment mis sur pied en droit pénal au Québec, il faut de toute urgence réformer le droit du travail pour mieux protéger les personnes victimes de violences sexuelles.

Nommé par le ministre du Travail en février 2022, le Comité chargé d’analyser les recours en matière de harcèlement sexuel et d’agression à caractère sexuel au travail a examiné près de 700 dossiers à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), soit 477 réclamations pour lésion professionnelle (2017-2021), 125 plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel (2021) et 77 demandes d’intervention par la CNESST en matière de prévention de la violence à caractère sexuel (2016-2022).

Des constats consternants et choquants

À l’issue de l’analyse de ces dossiers, nous avons fait des constats aussi consternants que choquants. Premièrement, au niveau de la preuve, la CNESST impose parfois des exigences plus grandes qu’en droit criminel pour les personnes victimes qui déposent une réclamation pour lésion professionnelle. Deuxièmement, certains règlements de plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel impliquent le versement de montants dérisoires aux personnes victimes mineures qui allèguent pourtant des faits gravissimes. Troisièmement, il arrive que la Division de la prévention de la CNESST mette fin à son intervention dès lors que la personne victime quitte son emploi, laissant harceleurs et agresseurs continuer à sévir en toute impunité dans les milieux de travail.

Le rapport du Comité1 formule donc 82 recommandations pour réformer le droit du travail, incluant l’instauration d’une division spécialisée en matière de violence à caractère sexuel au sein du Tribunal administratif du travail (TAT). Pour éviter que des mythes et stéréotypes influent sur leur appréciation de la crédibilité des personnes victimes, les juges du TAT doivent, tout comme ceux de la Cour du Québec et ceux nommés par le fédéral, bénéficier d’une formation en matière de violences sexuelles.

Alors que les femmes victimes d’une agression à caractère sexuel dans le cadre de leur travail ne peuvent bénéficier du régime d’indemnisation des victimes d’acte criminel, le droit du travail devrait leur offrir une protection comparable.

À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. Pour illustrer, en matière d’agression à caractère sexuel, la dénonciation tardive est fréquente. Alors qu’il n’y a pas de limite de temps pour présenter une réclamation dans le cadre du régime d’indemnisation des victimes d’acte criminel, si l’agression survient dans le cadre du travail, la personne victime n’a que six mois pour réclamer des indemnités auprès de la CNESST. De telles iniquités sont intolérables.

Il est temps que le droit du travail oblige les employeurs à prévenir les violences sexuelles au travail, et, si celles-ci se produisent, le droit – y compris le droit du travail – devrait offrir un recours approprié aux victimes.

Les personnes victimes de violences sexuelles au travail méritent mieux. Le gouvernement doit s’engager sur la voie d’une réforme législative. Le Québec doit se donner les moyens d’agir.

* Les deux autres signataires de la lettre sont Me Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et membre du Comité, et Anne-Marie Laflamme, doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval et membre du Comité.

1. Consultez le rapport du comité Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion