Au cours des derniers jours, l’Arabie saoudite a évacué vers son territoire des milliers de ressortissants étrangers pris entre deux feux au Soudan. Elle tente également de jouer les médiateurs dans cette crise sanglante qui risque de tourner à la guerre civile. Cet activisme à l’égard de ce vaste pays africain situé à quelques centaines de kilomètres de l’autre côté de la mer Rouge est la plus récente démonstration de la volonté de Riyad de se positionner comme un partenaire régional indispensable.

Après des années d’instabilité et de rivalités dans la région, l’Arabie saoudite vise aujourd’hui à s’imposer comme une force promouvant le dialogue. La diplomatie saoudienne mise ainsi sur la « stabilisation » du Moyen-Orient et sur la défense de ses intérêts économiques. C’est dans cet esprit que Riyad a rétabli ses propres liens diplomatiques avec l’Iran le 10 mars dernier après sept ans de rupture et qu’il semble se rapprocher d’un accord avec les insurgés houthis du Yémen voisin contre lesquels il est en guerre depuis 2015.

Les combats qui ont éclaté le 15 avril au Soudan, où l’Arabie saoudite a beaucoup investi économiquement, menacent à leur tour la stabilité politique et économique de la région.

Riyad a donc tout intérêt à s’y impliquer pour éviter que le pays ne sombre dans la guerre civile, ce qui lui offre également l’occasion de renvoyer l’image d’une diplomatie proactive en faveur de la stabilité et de la paix.

« The Kingdom of Humanity welcomes you »

C’est avec ces mots et des drapeaux saoudiens que les personnes évacuées du Soudan sont accueillies à Djeddah, grande ville portuaire de l’Arabie saoudite sur la mer Rouge. Deux semaines après le début de la crise, plus de 5000 personnes d’une centaine de nationalités y avaient déjà posé les pieds. Un tapis rouge leur a été littéralement déroulé et des roses ont été distribuées. On compte des citoyens canadiens parmi ces personnes accueillies en terre saoudienne, tandis que le Canada, comme d’autres pays, a été critiqué pour ne pas être venu en aide suffisamment rapidement à ses ressortissants.

Les évacués sont arrivés à Djeddah de la ville côtière de Port-Soudan, que beaucoup ont rejoint par la route à partir de la capitale soudanaise, Khartoum. Des dizaines de milliers d’autres personnes ont fui vers l’Égypte, l’Éthiopie, le Tchad et le Soudan du Sud.

Pour l’Arabie saoudite, ces évacuations sont l’occasion de mettre en scène l’« hospitalité » du royaume, ainsi remercié par de nombreux pays depuis le début des opérations. Régulièrement critiqué pour ses violations des droits de la personne, la guerre au Yémen et l’assassinat en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi imputé au prince héritier Mohammed ben Salmane, le pays s’efforce ainsi de redorer son image.

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Le Qatar a été essentiel lors des évacuations chaotiques de dizaines de milliers de personnes d’Afghanistan en août 2021. Doha avait alors été remercié pour son soutien et l’OTAN lui a même accordé le statut d’« allié majeur » quelques mois plus tard.

Aujourd’hui, Riyad joue un rôle similaire, bien que de moindre ampleur. Au-delà du cas soudanais, la diplomatie saoudienne vise à se rendre indispensable auprès des tous les acteurs impliqués au Moyen-Orient, dont la Chine, la Russie et les États-Unis de Joe Biden, qui entretient des relations particulièrement compliquées avec Mohammed ben Salmane. En fait, les relations entre Riyad et Washington s’étiolent depuis une dizaine d’années, dans un contexte où les États-Unis se désengagent progressivement du Moyen-Orient depuis la présidence de Barack Obama.

L’implication de l’Arabie saoudite dans les évacuations et ses efforts de médiation au Soudan pourraient donc contribuer à inciter l’administration américaine à se tourner davantage vers elle dans la gestion des affaires régionales.

Cette collaboration s’observe d’ailleurs dans le contexte de la crise soudanaise. Le 29 avril, les États-Unis ont organisé leur première opération d’exfiltration de citoyens américains par la route, de Khartoum à Port-Soudan, avant qu’ils ne soient évacués vers Djeddah. Une semaine plus tôt, Riyad et Washington ont conjointement négocié un cessez-le-feu humanitaire de trois jours, qui n’a pas été respecté. Les deux extensions successives de 72 heures chacune n’ont, elles non plus, pas été observées. La diplomatie saoudienne dit à présent travailler à un retour au dialogue entre les deux factions.

Riyad tire également profit des critiques adressées à la communauté internationale, particulièrement l’ONU, pour sa responsabilité dans la situation au Soudan, mais aussi pour la lenteur de sa réponse humanitaire alors que le conflit a éclaté il y a presque trois semaines.

Soulignons toutefois que l’Arabie saoudite a aussi sa part de responsabilité dans cette crise, puisqu’elle soutient les militaires soudanais depuis des années.

Malgré la proximité respective de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis avec les forces des deux généraux soudanais rivaux Abdel Fattah Al-Burhan et Mohamed Hamdan Dagalo « Hemedti », leur capacité à les ramener à la table des négociations est incertaine. À suivre. Mais les opérations d’évacuation mises en scène par le royaume saoudien et ses tentatives de médiation lui auront déjà permis de promouvoir l’image d’une diplomatie proactive.

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