Le mois d’avril est désigné, un peu partout à travers le monde, comme étant le Mois du souvenir, de la condamnation et de la prévention des génocides. Décidément, nous avons échoué à notre mission collective en nous collant à une définition juridique inadéquate.

Il y a un an, le 27 avril 2022, la Chambre des communes a adopté unanimement une motion reconnaissant les actes de génocide de la Fédération de Russie contre le peuple ukrainien, après que le Parlement de l’Ukraine a proposé une résolution « sur la commission d’un génocide en Ukraine par la Fédération de Russie ».

En mars dernier, la Cour pénale internationale lançait deux mandats d’arrêt contre des criminels de guerre : Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova.

L’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, connue comme la Convention sur le génocide, le définit comme étant « un acte commis avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », ce qui inclut le meurtre des membres du groupe, l’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, leur soumission à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique du groupe, les mesures visant à entraver les naissances, le transfert forcé d’enfants.

Il est considéré que l’actus reus du génocide est constitué par des actions visant à l’extermination physique des membres d’un certain groupe national, ethnique ou racial. Il apparaît donc naturel de qualifier le meurtre d’Ukrainiens par des Russes comme un génocide.

Cependant, ces actes ont un but plus large que la simple destruction physique. En Ukraine, la violence des forces russes n’est pas un moyen, mais une fin en soi : la série de crimes de guerre s’inscrit dans un projet de destruction menaçant l’existence de la nation ukrainienne.

Contrairement à un groupe national, ethnique ou racial détruit par le génocide, la nation a une définition plus large. Chacun de ses groupes, à la fois individuellement et collectivement, peut en former une. Au siècle des États multiculturels et multiethniques, il est central de considérer ce cadrage civique de ce qu’est une nation.

Une nation civique fait référence à une société où les individus adhèrent volontairement et quotidiennement au concept de communauté. Elle se détermine alors par des petites actions qu’entreprennent les membres de cette communauté, au-delà de leur couleur de peau, de la langue qu’ils parlent ou de la religion qu’ils pratiquent. L’Ukraine, multilingue et multiconfessionnelle, en est un exemple parfait : la population, qu’elle soit Russe ethnique, juive, roumanophone, ou Tatare de Crimée, se sent d’abord et avant tout ukrainienne.

Certes, depuis l’invasion du 24 février 2022, de nombreux Ukrainiens ont tendance à renoncer à la langue russe par conviction, car elle est associée à l’idée de l’empire, mais il reste qu’on peut librement le parler dans les quatre coins du pays.

La nation ukrainienne moderne s’est également construite sur une profonde volonté de rejoindre l’Union européenne. En adhérant aux valeurs de démocratie et de liberté promues par les 27, les Ukrainiens construisent leur avenir et contribuent au renforcement du projet d’intégration européenne.

Face à cela, la volonté de désukrainisation dans le discours russe est indéniable. Six mois avant l’invasion, Poutine publiait un essai dans lequel il revisitait l’histoire ukrainienne, insistant sur son « artificialité ». Lors de son discours du 24 février 2022, le criminel de guerre a déclaré qu’il n’existait pas historiquement d’État comme l’Ukraine et pas de nation ukrainienne.

Un article paru dans le média d’État russe RIA Novosti intitulé « Ce que la Russie devrait faire avec l’Ukraine » fait écho aux déclarations officielles, en souhaitant « la liquidation et la rééducation idéologique » des Ukrainiens, donc une « désukrainisation inévitable ».

Le dernier tweet de Dmitry Medvedev, homme d’État russe, affirmait que l’Ukraine « allait disparaître, car personne sur cette planète n’en a besoin ».

Bien qu’elles n’appellent pas à une destruction physique directe des Ukrainiens, tel que c’est conçu par la définition onusienne du génocide, ces déclarations visent la désintégration de l’identité politique et nationale de ceux-ci, et donc la destruction de la nation ukrainienne telle qu’elle se construit.

Je propose donc de rajouter le terme natiocide au dictionnaire, un néologisme pouvant être défini simplement comme étant la destruction d’une nation. Les avantages de cette appellation sont nombreux.

Nous reconnaîtrons d’abord l’existence de communautés politiques allant au-delà des particularités ethniques. Nous procéderons également à une mise à jour du droit international, souvent perçu comme dépassé, et contribuerons ainsi à la condamnation des responsables russes pour leurs crimes en Ukraine.

Nous nous engagerons enfin à prévenir de tels crimes atroces à l’avenir en protégeant les nations en tant que membres uniques de la communauté internationale, c’est notre devoir.

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