En réponse à la série de textes de Pier-André Bouchard St-Amant et de Laurence Vallée1 et 2 sur le financement des universités au Québec, textes publiés les 17 et 18 avril

Dans une série de deux textes, Pier-André Bouchard St-Amant et Laurence Vallée, de l’École nationale d’administration publique, me font l’honneur de critiquer, sans les nommer, mes travaux portant sur le financement des universités au Québec.

Le premier texte se veut une défense de l’équité d’attribution de la subvention de fonctionnement, qui est une somme attribuée, essentiellement, en fonction de l’effectif étudiant dans chaque université. Les auteurs se livrent à divers calculs pour prouver que, pour ce qui est de l’attribution de ces fonds, d’un point de vue comptable, l’UQAM n’est pas désavantagée.

Ils défoncent cependant une porte ouverte, car je suis en accord avec eux, étant parvenu à la conclusion que « si on fait l’analyse selon la langue d’enseignement, les universités anglophones disposent de 5040 $/EETP (définition d’un étudiant en équivalence au temps plein) via la subvention normée tandis que les universités francophones touchent 5002 $/EETP, des sommes presque exactement égales »3.

Mais dans le même texte, je souligne que les universités de langue anglaise « restent favorisées du point de vue de la complétude institutionnelle dont elles jouissent ». La « complétude institutionnelle » est un concept important, reconnu en droit canadien4, qui permet de comprendre comment la vitalité linguistique, soit la capacité de conserver et recruter de nouveaux locuteurs, d’une communauté est liée à la « complétude », ou le financement du réseau institutionnel dont elle dispose. Dans le cas des anglophones du Québec, j’ai démontré dans mon livre Pourquoi la loi 101 est un échec (Boréal, 2020) que ceux-ci disposent, pour leurs universités, d’un financement global équivalent à trois fois leur poids démographique. Cette « surcomplétude » pour les anglophones (qui équivaut à un sous-financement pour les francophones) permet de comprendre pourquoi les universités (et cégeps) anglophones sont devenus un vecteur majeur de l’anglicisation de Montréal. Les auteurs évitent soigneusement d’aller sur ce terrain.

Mais là où je diffère d’opinion, c’est sur la cause de la chute des effectifs étudiants à l’UQAM. Les auteurs affirment que la « pénurie de main-d’œuvre affecte les inscriptions universitaires » et particulièrement l’UQAM. Sans doute. Mais est-ce suffisant pour expliquer l’importante chute des inscriptions depuis 2014 (-9,15 % globalement et -23,4 % au premier cycle) ?

Et surtout, pourquoi les effectifs de Concordia (une institution comparable de langue anglaise) ont continué de croître jusqu’en 2020 alors que l’économie se portait bien ? Concordia connaît un léger déclin depuis 2020 (-2,2 %), mais cela est dû essentiellement à la pandémie de COVID-19.

Dans le deuxième texte, les auteurs démontrent que McGill dispose de 148 % plus d’argent par étudiant que l’UQAM. Mais Concordia est omise du calcul. Est-ce parce que cela aurait démontré qu’une iniquité en fonction de la langue d’enseignement existe bel et bien ? Quant à l’Institut national de la recherche scientifique, c’est une université qui n’offre pas le premier cycle et qui biaise le calcul. On notera également que les auteurs ne parlent pas spécifiquement des fonds d’immobilisation, qui favorisent depuis longtemps les universités de langue anglaise5. Notons d’ailleurs que 60 % des fonds du Plan québécois des infrastructures 2023-2033 sont réservés à McGill et à Concordia6.

La langue est un facteur structurant majeur qui affecte grandement les flux d’inscriptions dans les universités montréalaises. Il a été démontré que la langue était LE facteur explicatif pour l’inscription des étudiants dans un cégep anglais7. Et que 90 % des diplômés de ceux-ci choisissaient de poursuivre leur parcours universitaire à McGill ou à Concordia. Sans mentionner la très nette préférence des étudiants internationaux (une clientèle très lucrative) pour les programmes en anglais. Le déclin de l’UQAM reflète le déclin du Montréal français.

L’équité comptable de la formule de financement, qui repose sur la fiction d’un « libre marché » des étudiants, se fracasse sur la réalité de l’asymétrie du rapport de force entre l’anglais et le français au Québec et au Canada. Cette équité fictive conduit donc à une iniquité effective. La langue est l’éléphant dans le magasin de porcelaine de la formule de financement. Ne serait-il pas temps d’intégrer la notion de « complétude institutionnelle », un concept qui vise explicitement l’équité entre les deux grandes communautés linguistiques du Canada, à la formule de financement des universités du Québec ?

1. Lisez la lettre du 17 avril « L’UQAM, les ingénieurs et les anglais » 2. Lisez la lettre du 18 avril « L’UQAM a-t-elle sa juste part ? » 3. Lisez l’article de l’Action nationale (septembre 2021) « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées » 4. Lisez l’article de la Revue de droit linguistique 5. Lisez l’article de l’Action nationale (avril 2021) « Québec préfère les universités anglaises » 6. Lisez l’article de L’aut’journal (avril 2023) « Le favoritisme éhonté de Québec envers les universités anglaises » 7. Consultez l’analyse de l’Institut de recherche sur le français en Amérique Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion