Le ton de fierté du gouvernement du Québec concernant le recrutement actif d’infirmières à l’étranger dans les pays francophones, notamment au Cameroun, au Sénégal, en Haïti et en République démocratique du Congo, est particulièrement sourd en ce qui concerne notre responsabilité sociale vis-à-vis de nos partenaires mondiaux.

La pénurie de travailleurs de la santé est l’un des plus grands défis pour la santé mondiale, avec une pénurie estimée à 18 millions de travailleurs de la santé dans le monde, dont la moitié sont des infirmières et des sages-femmes, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2020).

Pour répondre aux besoins en soins de santé primaire d’une population, les objectifs de développement durable de l’OMS (2018) proposent une densité minimale de 4,45 médecins, infirmiers et sages-femmes par tranche de 1000 habitants. Au Cameroun, l’un des pays ciblés par la première phase de recrutement du Québec, il y a 0,55 médecin, infirmière et sage-femme par tranche de 1000 habitants et ce nombre s’est dégradé entre 2008 et 2018 (OMS, 2021). La disparité est flagrante avec celle de 14,2 de ces professionnels par tranche de 1000 habitants au Canada.

La répartition inégale des ressources de santé entre les nations est une injustice globale. Elle menace la capacité des pays à fournir des soins de santé primaires à leur population. Selon l’OMS, l’Afrique représente 25 % de la charge mondiale de morbidité, mais seulement 3 % des effectifs de santé (OMS, 2021). Le Québec offre des mesures d'incitation très attrayantes, ce qui rend difficiles les stratégies locales de rétention, créant ainsi un cercle vicieux dans lequel davantage d’infirmières sont poussées à partir de leur pays d’origine. Un cercle vicieux similaire existe ici ; de nombreuses infirmières formées localement quittent le Québec ou le secteur public à la recherche de meilleurs salaires et de meilleures conditions ailleurs, ce qui empire notre pénurie actuelle d’infirmières.

Les infirmières ont le droit de chercher de meilleures opportunités, mais la stratégie de recrutement actuelle est néfaste et ne s’attaque pas aux causes profondes de notre propre pénurie d’infirmières.

Le Code de pratique mondial de l’OMS pour le recrutement international des personnels de santé (2010) a été établi pour guider les pratiques éthiques dans le recrutement mondial. Un énoncé clé affirme que « les États membres devraient décourager le recrutement actif de personnels de santé originaires de pays en développement confrontés à des pénuries aiguës de personnels de santé » (OMS, 2010). Dans son plan actuel, le Québec recrute intentionnellement dans cinq pays identifiés par l’OMS comme nécessitant des mesures de protection spécifiques pour décourager le recrutement international actif étant donné la gravité de leurs propres pénuries de travailleurs de la santé (OMS, 2020). Le Québec enfreint les directives de l’OMS en matière d’éthique dans le recrutement international d’infirmières et prive ces pays de leur propre expertise en santé, dont ils ont désespérément besoin.

Ce recrutement actif d’infirmières formées à l’étranger dans des pays à faibles ressources est nuisible et injuste.

Cette injustice est particulièrement flagrante compte tenu de la longue histoire au Québec de coupes budgétaires, de dévalorisation de la profession infirmière et de l’élimination récente des mesures de rétention des infirmières (voir Wasserman & Ledieu, 2023).

Pour améliorer les soins de santé au Québec, le gouvernement devrait commencer par écouter les infirmières, s’attaquer aux facteurs qui poussent nos propres infirmières formées localement à quitter la province et la profession et à améliorer les conditions de travail. Le Québec devrait repenser sa stratégie de recrutement international et s’engager à faire des soins infirmiers une profession valorisée et attrayante ici pour assurer la viabilité à long terme des soins de santé.

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