Alors que l’impressionnant projet de loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace vient d’être déposé à l’Assemblée nationale, je me suis imaginée un instant dans la peau de Véronique Cloutier, qui a réussi à influencer le ministre Christian Dubé concernant les traitements hormonaux pour les femmes. Si j’étais Véro, quelles seraient mes demandes ?

Monsieur le Ministre, je vous écris ici en tant que chercheuse travaillant sur le système de santé et des services sociaux depuis une vingtaine d’années. Votre réforme titanesque touchant plusieurs dizaines de lois vise à améliorer l’efficacité des soins en ramenant l’idée d’une agence comme garde-fou de la qualité des services. Les pouvoirs ne sont cependant pas tous confiés à cette dernière puisque vous avez fait le choix de conserver, entre autres, le pouvoir sur la reddition de comptes des établissements.

Je n’ai pas besoin de vous rappeler que les problèmes à régler sont aussi gigantesques que votre réforme : diminuer les listes d’attente dans presque tous les services, accélérer la prise en charge aux urgences, en bref, redonner accès aux soins de santé et aux services sociaux à toutes les personnes qui en ont besoin.

Je me dois de vous rappeler qu’avant vous, les ministres Marc-Yvan Côté, Jean Rochon, Philippe Couillard et Gaétan Barrette ont tous eu le même objectif d’efficacité que vous. Tous ont procédé à des réformes structurelles, les uns mettant en place des régies régionales et des agences, les autres abolissant ces dernières. Les structures du réseau ont donc beaucoup changé au cours de ces cinq réformes successives, en incluant la vôtre, sur une période d’un peu plus de 30 ans.

Si ces changements de forme ont été nombreux, une constante est demeurée puisque toutes ces réformes se sont appuyées sur des théories gestionnaires en vogue.

Les méthodes Lean, Toyota et Kaisen ont été considérées par tous vos prédécesseurs ou leurs conseillers comme la solution aux maux du réseau. Pourtant, une quantité importante de recherches montre que ce type de gestion dans le réseau public nuit au climat de travail et crée de la souffrance chez les travailleuses et les travailleurs. Ça n’est pas pour rien que beaucoup quittent le bateau.

Données qualitatives

Monsieur le Ministre, si j’étais Véro, je vous dirais que si vous souhaitez que votre réforme soit un succès, vous devez vous détacher de ces méthodes de gestion qui visent le contrôle des personnes travaillant dans le réseau. La mise en œuvre de mécanismes de reddition de comptes de ce type satisfait davantage le besoin de données de l’administration plutôt que l’assurance d’une offre de services aux usagers rendue possible par de nouveaux moyens mis à la disposition du personnel.

La qualité des soins ne peut pas reposer sur des statistiques et des tableaux de bord de performance qui, au final, ne reflètent pas la complexité des relations avec les usagers et qui réduisent le temps passé avec ces derniers. En poursuivant dans cette veine, vous passerez à côté de l’effet souhaité.

Pour être efficace, la mise en œuvre de votre réforme doit reposer sur un changement de cap en matière de reddition de comptes qui redonnera du sens au travail.

Si j’étais Véro, je vous demanderais de construire avec le personnel du réseau une reddition de comptes qui ne se fonde pas uniquement sur des statistiques impressionnistes du travail effectué, mais également sur des données qualitatives qui rendent vraiment compte du travail effectué. En pleine négociation des conventions collectives du réseau public, dans un contexte où les employées et employés quittent le réseau, vous devez prendre en compte l’ensemble des conditions de travail. La reddition de comptes étant à la marge des conventions collectives, cette décision repose donc sur vous. Souhaitez-vous vraiment rendre le réseau plus efficace ?

* Écrit avec la collaboration de Josée Grenier, professeure agrégée au département de travail social, Université du Québec en Outaouais

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