La loi P-38 en santé mentale (Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui) ne protège pas une grande partie des gens les plus sévèrement atteints. Au nom du droit à l’inviolabilité de la personne, la loi P-38 permet à des personnes inaptes de se soustraire aux soins requis par leur état et entraîne une détérioration irréversible.

Selon des études, 60 % des personnes atteintes de schizophrénie et 50 % des personnes atteintes de psychose maniaco-dépressive (PMD) ne sont pas conscientes d’être malades. Leur manque de compréhension de soi amène la moitié des personnes atteintes d’une maladie mentale importante à ne pas suivre leur traitement. Elles refusent un suivi médical, une médication et (ou) une hospitalisation et passent entre les mailles du filet social et médical.

Les familles peinent à obtenir les soins requis et (ou) une hospitalisation pour leur proche. Faire hospitaliser une personne malade contre son gré relève d’un combat ultime dont l’issue est plus qu’incertaine. Pour obtenir une garde provisoire à l’hôpital, la famille et le médecin doivent pouvoir prouver que la personne présente un danger grave et immédiat dans les 24 à 48 heures pour elle ou pour autrui. Durant la garde provisoire, si deux psychiatres en arrivent au même constat de dangerosité, ils peuvent obtenir du tribunal une garde « régulière » de 21 jours.

On peut penser qu’il sera évident pour le juge de conclure que la personne devant lui est malade et doit être hospitalisée, mais il n’en est rien. La personne malade se campe souvent dans un mutisme complet et ne donne pas accès à sa pensée aux psychiatres évaluateurs. Elle ne parle pas de ses idées délirantes, de ses hallucinations et de sa détresse psychologique. Elle rassemble toutes ses énergies pour avoir l’air normal. Très souvent, les proches, qui connaissent la personne malade et qui sont conscients que le pire peut arriver, expérimentent, impuissants, le syndrome de la porte tournante. Leur personne malade qu’ils ont eu peine à faire hospitaliser en ressort quelques heures plus tard sans avoir reçu les soins requis.

La famille et les proches assistent de nouveau, dans la peur, à la descente aux enfers de la personne atteinte, sur des heures, des jours ou des semaines, soit jusqu’à ce qu’un autre évènement témoigne de la dangerosité de cette personne.

Malheureusement, l’inefficacité de la loi P-38 à protéger les gens les plus sévèrement atteints se solde trop souvent par la mort de proches qui les aimaient et qui tentaient désespérément de leur venir en aide. Il arrive aussi que de parfaits inconnus soient attaqués et tués lors d’un épisode de psychose meurtrière.

La loi P-38 doit être modifiée. Des interventions préventives avec une loi les appuyant doivent être mises de l’avant. L’ajout d’argent pour ces clientèles très sévèrement atteintes ne règlera pas le problème si on ne modifie pas la loi. Dans certaines provinces canadiennes (Ontario et Saskatchewan) et dans plusieurs pays, des interventions préventives sont mises de l’avant. En Suède, en Norvège, en Écosse, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Suisse, au Royaume-Uni, etc., des ordonnances communautaires de traitement existent. Elles permettent d’intervenir plus tôt auprès de la personne malade pour éviter des hospitalisations et des drames. En Nouvelle-Zélande, il est possible d’imposer un traitement communautaire sans que la personne ait été hospitalisée précédemment. Des ressources d’hébergement appropriées, comme des appartements supervisés et des suivis adéquats par des intervenants en santé mentale dans le milieu, font partie des stratégies d’intervention.

Certains s’opposeront en brandissant le droit à l’inviolabilité de la personne. N’oublions pas que les personnes en crise psychotique sont temporairement dans une autre réalité et donc inaptes à avoir un jugement éclairé sur leur situation. Que fait-on au Québec du droit d’être soigné au moment opportun avant une détérioration irréversible de ses capacités et avant de commettre l’irréparable ? Le vendredi 17 mars, un jeune homme de Rosemont a tué trois de ses proches. N’aurait-il pas préféré qu’on brime ses droits et qu’on l’hospitalise temporairement pour le protéger de ses hallucinations ? Comment fera-t-il pour vivre avec les conséquences des gestes faits ? N’est-il pas une autre victime, lui aussi ?

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