Dans sa revue financière de l’automne 2022, le Fonds monétaire international (FMI) évoquait le spectre de crises fiscales, résultant de l’incapacité d’un État à combler le déficit entre ses dépenses et ses recettes, qui deviendraient fréquentes, voire d’une crise fiscale généralisée. Oui, « widespread fiscal crisis », des mots nouveaux de la part d’une institution internationale et le genre de situation que notre monde mondialisé n’a jamais encore connue.

Alors que le Québec vient de déposer son budget, comme le Canada s’apprête à le faire le 28 mars, posons-nous la question : sommes-nous à risque d’une crise fiscale généralisée ?

À l’échelle mondiale, la dette des entreprises, des ménages et des États est estimée à 300 trilliards de dollars, soit 360 % du PIB, en hausse de près de 50 % depuis 2008.

Celle des États compte pour un peu moins de la moitié de ce montant. Aidée par la reprise économique et l’inflation, cette dette exprimée en proportion du PIB se porte mieux dans plusieurs États, dont le Canada et les États-Unis. Mais la dette en tant que telle continue toutefois d’augmenter dans la plupart des pays, dont également le Canada et les États-Unis.

Kristin Forbes, ancienne membre du Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, mentionnait en janvier à l’American Economic Association que la forte accumulation de la dette publique a accru le risque de crises fiscales. Kenneth Rogoff, de l’Université Harvard, expliquait également en janvier que : « Nous avons eu la chance de ne pas connaître d’évènement systémique mondial en 2022, et nous pouvons nous en féliciter, mais les taux [d’intérêt] continuent d’augmenter et le risque ne cesse de croître. »

L’inquiétude s’est atténuée

Compte tenu de la gravité que pourrait constituer une crise fiscale généralisée, je suis allée à la source et j’ai rencontré Vitor Gaspar, directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international (FMI). Il m’a expliqué qu’au moment de sa déclaration, le 12 octobre 2022, les perspectives économiques se détérioraient, les conditions de financement de plusieurs pays en développement se durcissaient et même certains pays développés comme le Royaume-Uni et la Corée du Sud vivaient des épisodes de forte volatilité des marchés. Mais depuis, la croissance s’est avérée étonnamment résiliente, l’inflation est en baisse dans la plupart des pays, la Chine se porte mieux et on assiste à un modeste soulagement dans les pays en développement, si bien que l’inquiétude s’est atténuée. M. Gaspar conclut en précisant qu’il est toujours vrai que les coûts du service de la dette vont augmenter et que les risques associés à l’endettement et les vulnérabilités restent élevés dans de nombreux pays.

Je suis également allée à la source du côté canadien et j’ai interrogé le bureau de la ministre des Finances. La réponse : « En utilisant la mesure de dette nette, la plus pertinente pour comparer l’endettement des économies avancées, le Canada a un ratio de la dette au PIB plus bas que l’ensemble des pays du G7. Compte tenu de cette mesure de dette, le niveau d’inquiétude concernant la capacité financière du Canada est bas. Les excellentes cotes de crédit accordées par les trois principales agences de notation, Moody’s (AAA), S&P (AAA) et Fitch (AA+), reflètent ce bas niveau d’inquiétude. »

La dette brute est également un outil de mesure important parce que les intérêts sont chargés sur la dette brute et la dette brute du Canada se situe au quatrième rang du G7 et au 25e rang des 35 économies avancées.

En conclusion, bien que le FMI n’envisage plus le risque d’une crise fiscale généralisée et que le Canada soit confiant quant à son niveau d’endettement, une grande prudence est de mise.

L’étincelle peut provenir de partout, en passant par la guerre en Ukraine, une possible récession, le défaut de paiement d’un pays développé comme l’Italie ou de plusieurs pays en voie de développement, l’effondrement d’une ou plusieurs grandes entreprises. La débâcle de la Silicon Valley Bank démontre comment le feu peut prendre rapidement. Et n’oublions pas que les pays déjà fortement endettés n’ont pas la même capacité financière qu’en 2008 pour venir en aide aux marchés et réagir à l’effondrement. Puis à en juger par les dernières réunions du G20, la coopération internationale ne semble plus autant au rendez-vous qu’en 2008, alors que le G20 avait joué un rôle clé lors de la crise financière.

Espérons que nous réussirons à éviter les crises fiscales et réfléchissons à la manière de nous y préparer. « Espérer le meilleur et se préparer au pire : c’est la règle », écrivait Pessoa.

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