La visite de Joe Biden au Canada cette semaine rappelle à quel point la vie de Justin Trudeau a changé au lendemain de la présidentielle américaine de 2020.

Imaginez l’état des relations entre le Canada et les États-Unis si Donald Trump avait été élu pour un second mandat. Aurait-il accepté un accord sur le chemin Roxham ? Cessé d’attaquer personnellement Trudeau sur les médias sociaux ? Arrêté de qualifier les pratiques commerciales du Canada de « déloyales » ? Et quelle aurait été la position d’Ottawa si Trump avait réussi à conserver le pouvoir après l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 ? Trudeau et Biden ont certes abordé des sujets épineux ces derniers jours, mais c’est le retour au calme après la tempête Trump, qui a prédominé lors des rencontres. Cependant, le spectre d’une réélection de Trump continuera de hanter Ottawa d’ici 2024.

Un protectionnisme bien ancré

Biden est également préoccupé par le retour de Trump, et c’est l’une des raisons pour lesquelles il n’a pas pu répondre positivement à toutes les demandes de Trudeau de réduire les mesures protectionnistes qui nuisent au Canada. En martelant que le libre-échange et la mondialisation ont lésé les États-Unis, Trump a aiguisé l’appétit des Américains pour des élus qui promettent des emplois sur le sol américain.

Lors d’enquêtes de terrain réalisées aux États-Unis durant les élections de mi-mandat de 2018 et 2022, nous avons observé la montée en popularité de ce thème, en particulier dans trois États du Midwest essentiels à la victoire de Trump en 2016 : la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. Pour reprendre ces États et remporter la présidence en 2020, Biden a dû adopter la même rhétorique protectionniste que son adversaire.

Son discours sur l’état de l’Union en février dernier a montré son intention de poursuivre dans cette voie. Selon ses mots (qui ne sont pas sans rappeler ceux de Trump), « trop de bons emplois manufacturiers sont partis à l’étranger » et « trop d’usines américaines ont dû fermer ».

Biden fait davantage la distinction que Trump entre les rivaux économiques et les alliés traditionnels des États-Unis. Il était d’ailleurs contre les tarifs de Trump sur l’acier et l’aluminium canadiens. Mais aucune visite à la résidence des Trudeau ou séance d’initiation au curling pour Jill Biden, l’épouse de Joe, n’aurait pu convaincre la Maison-Blanche de faire de grandes concessions commerciales à ses voisins du Nord, surtout dans des secteurs cruciaux pour gagner les États clés de la présidentielle de 2024.

Les Canadiens devront donc s’habituer à voir Biden et son parti tendre l’oreille aux producteurs laitiers du Wisconsin qui détestent le système de gestion de l’offre canadien, aux électeurs du Michigan qui veulent que les voitures assemblées en Amérique du Nord contiennent plus de pièces fabriquées aux États-Unis, et aux syndicats d’États comme la Pennsylvanie qui demandent que sa révolution verte et ses projets d’infrastructures soient « made in America ».

Le joker d’Ottawa ?

Trudeau peut toutefois contourner (en partie) ce protectionnisme s’il démontre que le Canada est essentiel aux principaux objectifs de politique étrangère de Biden. Les pourparlers de cette semaine n’ont pas réservé de surprise à cet égard.

Biden a demandé au Canada de jouer un rôle plus important dans la stabilisation d’Haïti, de moderniser les équipements du NORAD, d’augmenter les investissements en défense, de contribuer davantage aux opérations de l’OTAN et de poursuivre le soutien à l’Ukraine.

Mais son obsession pour les prochaines années restera de mieux concurrencer la Chine et de réduire la dépendance économique des États-Unis envers celle-ci.

Sur ce plan, l’engagement de Biden et de Trudeau à mieux collaborer pour rapatrier sur le sol nord-américain les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques et en semi-conducteurs montre que le protectionnisme à l’égard du Canada s’atténue quand la Maison-Blanche y voit un frein dans la course contre Pékin.

Ce n’est certainement pas un hasard si la « Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique », rendue publique en février dernier, insiste tant sur ces chaînes d’approvisionnement et reprend presque mot à mot la vision de la Chine exposée dans la stratégie de sécurité nationale américaine d’octobre 2022 (National Security Strategy). Celle du Canada va même plus loin en qualifiant la Chine de « puissance perturbatrice », comme si Ottawa voulait faire comprendre le plus clairement possible à Biden que le Canada a (enfin) choisi son camp.

Les dirigeants canadiens font peut-être aussi le pari que cette position vis-à-vis de la Chine sera de toute façon nécessaire si Biden n’est pas réélu en 2024. Du côté républicain, les deux favoris pour remporter l’investiture du parti (Ron DeSantis et Donald Trump) prônent encore plus de fermeté à l’égard de Pékin. Reste à savoir si, une fois élus, ils montreraient autant d’intérêt que Biden à collaborer étroitement avec le Canada pour mieux concurrencer la puissance chinoise. Dans le cas de Trump, on connaît déjà la réponse.

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