En écho à l’article de Denis Soulières, « La santé du temps en oncologie », publié le samedi 11 mars1.

Je ne suis pas oncologue, mais je vis depuis six ans avec un cancer incurable. Cela fait de moi de facto une experte de l’expérience patient en cancérologie dans notre système de santé. C’est à ce titre que je joins ma voix à celle du Dr Denis Soulières pour réclamer de la part de nos dirigeants des actions priorisées, intégrées et cohérentes avec la réalité québécoise du cancer et ses alarmantes failles. J’ai de moins en moins de temps à perdre.

Si les patients comme moi ont bel et bien « une histoire personnelle avec le temps » que des cliniciens ont l’impression de perdre, notamment parce qu’ils n’ont pas la capacité d’intervenir au bon moment et avec les moyens opportuns, comment ne pas exiger une mobilisation concrète de nos décideurs contre ce qui ressemble de plus en plus à une crise de santé publique ?

Faut-il rappeler que le cancer est « la première cause de mortalité au Québec, et ce, avant les maladies cardiovasculaires »2 et « qu’en moyenne, au Québec, toutes les 24 minutes, quelqu’un meurt du cancer ». Comment alors ne pas réclamer des mesures d’urgence pour améliorer notre capacité à endiguer les « 158 nouveaux cas de cancer par jour » ?2

Comment ne pas s’alarmer, entre autres aberrations, du fait que le Québec est « la seule province à ne pas avoir de programme de dépistage du cancer colorectal, le plus souvent découvert au stade 3 »3, alors que nous savons que la probabilité de survie est déterminée par la rapidité d’accès aux soins ?

Puisqu’il semble que les questions difficiles relatives au cancer ne se posent pas dans les bureaux des instances gouvernementales ni dans les conseils d’administration des institutions de notre système de santé, alors comment ne pas exiger de « notre gouvernement » qu’il ait le courage de s’engager à élaborer une vision concertée et à long terme avec les acteurs de la lutte contre le cancer pour endiguer cette crise sanitaire ?

Les récentes avancées en matière d’aide médicale à mourir stimulent inévitablement la réflexion individuelle et collective à propos des conditions dans lesquelles nous finirons nos vies. Avant d’arriver là, le parcours de soins est souvent long et nettement perfectible pour assurer aux personnes atteintes d’un cancer incurable une relative qualité de vie.

En effet, la période qui s’étend de l’annonce d’un pronostic incurable au décès est une épopée existentielle semée d’embûches.

Les soignants se butent déjà aux limites de la science en termes de compréhension et de contrôle du cancer. Ils devraient pouvoir obtenir de la part de nos dirigeants les moyens de donner un maximum de « santé au temps » qui reste à leurs patients.

Autrement, comment s’étonner du fait que « 66 % des 3663 personnes ayant demandé l’aide médicale à mourir en 2020-2021 étaient atteintes d’un cancer » ?4 En dernière option, ils n’ont que le choix d’assumer le plein droit à ce qui leur reste de qualité de vie.

En conclusion, je ne nous souhaite pas une autre politique dont on n’aurait ni la volonté politique ni la capacité terrain de mise en œuvre. Pas plus que je ne crois que nous ayons besoin d’un autre super organisme parapublic qui fera des recommandations qui ne seront pas appliquées par les gouvernements tournants.

Je nous souhaite de nous donner les moyens de prodiguer des soins de fin de vie intégrés, humains et efficaces, aux personnes aux prises avec toute maladie chronique incurable comme le cancer, notamment par l’apprentissage du dialogue de la chaîne patient-médecin-hôpital-institutions-gestionnaires-élus. À mon avis, cela passe par une veille continue et par la mise en œuvre des meilleures pratiques internationales en fonction des indicateurs pertinents à notre contexte spécifique.

Enfin, je souhaite de tout cœur que « ceux qui ont bâti le Québec », à savoir les représentants de sa population vieillissante, particulièrement touchés par le cancer, aient accès aux soins qui leur permettront de vivre et de mourir sans souffrances indues entraînées par les ratés d’un système dont nous vivrons tous les répercussions au prix de notre existence.

1. Lisez la lettre de Denis Soulières 2. Consultez les statistiques sur le cancer

3. D’après les chiffres du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2550 personnes meurent chaque année des suites d’un cancer du côlon au Québec. Malgré tout, il faut encore passer par un médecin ou une infirmière praticienne spécialisée (IPS) afin d’obtenir une ordonnance pour passer un test de dépistage.

Lisez 4. l’article de Louise Leduc Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion