L’élection d’une nouvelle coalition dirigée par le premier ministre Benyamin Nétanyahou le 1er novembre dernier a porté au pouvoir un gouvernement décrit par beaucoup comme étant le plus à droite et le plus religieux de l’histoire du pays.

Pour être élu, un premier ministre doit obtenir la majorité des 120 sièges au Parlement, ce qui oblige les forces politiques à former des coalitions. Dans le nouveau gouvernement, la moitié des 64 sièges de la majorité sont occupés par les députés du Likoud, parti incarnant la droite traditionnelle et dont est issu le premier ministre. L’autre moitié de ces sièges est occupée par les représentants de deux blocs politiques religieux : celui formé par les partis dit haredis (Yahadut HaTora et Shas) ; et celui, plus controversé, composé d’une alliance entre les partis Otzma Yehoudit, Noam et HaTzionout HaDatit.

La présence de partis religieux dans une coalition au pouvoir n’est pas nouvelle, mais leur importance va croissante, ce qui est en train de marquer durablement la politique israélienne.

En plus d’un basculement à droite de l’opinion publique, ces transformations attestent de la vitalité démographique de plusieurs « secteurs » (migzarim) de la population dont les partis actuellement au pouvoir ont réussi à capter l’électorat. Outre une minorité arabo-palestinienne dotée de ses propres partis et institutions, la société juive israélienne est elle aussi organisée en plusieurs sous-ensembles ethnoreligieux très autonomes. Plusieurs d’entre eux disposent de leur propre système éducatif et tous se caractérisent par des dynamiques démographiques très différentes, en plus d’entretenir des rapports différents à l’État.

L’Israel Democracy Institute publie régulièrement des données démographiques sur ces différents sous-ensembles. Voici les plus récents, mis en contexte.

Le bloc haredi

Un premier secteur est le bloc haredi, parfois qualifié péjorativement d’ultra-orthodoxe. Population historiquement assez isolée de la société majoritaire et cherchant à se préserver du monde extérieur, elle représente actuellement un peu plus de 9 % de la population juive israélienne. Avec 7,1 enfants par femme en moyenne contre 3,1 pour la population dans son ensemble, les haredis forment de loin la population dont la croissance démographique est la plus forte.

Leurs représentants politiques ont eu tendance à se centrer sur des demandes sectorielles visant notamment à assurer le financement public de leurs établissements éducatifs.

Cette population est toutefois en cours d’intégration à la société israélienne. En délaissant le yiddish pour l’hébreu moderne, par exemple. Des enquêtes récentes tendent à indiquer une politisation discrète mais significative de segments importants du public haredi. Cette évolution se traduit par un attachement croissant à la conformité des institutions et de la vie israélienne au droit juif le plus strict (tel que l’interdiction des transports publics le shabbat) et au maintien du caractère juif du pays.

Le secteur national-religieux

Une deuxième population formant une base électorale presque exclusivement acquise aux partis de droite est le secteur national-religieux, qui constitue environ 10 % de la population juive. Avec en moyenne quatre enfants par femme, les nationaux religieux forment le deuxième secteur parmi ceux qui ont la plus forte croissance.

Cependant, à la différence des haredis, les nationaux-religieux sont intégrés dans le marché du travail et dans les plus hautes instances de l’État. Une fraction importante de ce secteur est engagée idéologiquement dans la volonté de peuplement et d’annexion de la Cisjordanie à Israël. Aux élections de 2021, les votes de l’électorat national-religieux sont allés presque exclusivement aux partis de droite entendant les représenter, ainsi qu’à quelques partis haredis.

Le public dit traditionaliste

Un troisième sous-ensemble est le public « traditionnaliste ». Il désigne une population hétérogène, souvent composée de Juifs originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, de milieux populaires, et caractérisée par un attachement aux rites juifs, mais entretenant un rapport plutôt symbolique à la norme religieuse. Ce public est relativement stable sur le plan démographique : il formait 36,9 % de la population juive israélienne entre 2003 et 2011 contre 33,4 % pour la période 2012-2020. Politiquement, malgré des divergences importantes, les populations traditionalistes tendent à former la base électorale du Likoud de Benyamin Nétanyahou.

Les Juifs sécularisés

De leur côté, les partis politiques centristes et de gauche (aujourd’hui dans l’opposition) mobilisent principalement dans un quatrième secteur, celui des Juifs sécularisés (hilonim), ensemble démographique le plus important de la population juive (44 %). Mais avec un taux de fécondité de 2,2 enfants par femme, leur poids démographique relatif diminue face aux secteurs traditionalistes, haredis et nationaux-religieux.

Depuis la fin objective des accords d’Oslo et les violences politico-militaires des années 2000, ces partis se sont détournés du « processus de paix » pour se tourner vers des programmes économiques néolibéraux, la promesse d’une nation « high-tech », la gestion « sécuritaire » de l’occupation en Cisjordanie et la défense des institutions face à la « menace » posée par la croissance des secteurs religieux.

Outre l’augmentation générale des violences, depuis plusieurs semaines, le gouvernement israélien fait face à un mouvement de contestation sans précédent, marqué par de très importantes manifestations visant à défendre la Cour suprême, dont l’indépendance est menacée par un projet de réforme. Si ce mouvement mobilise largement chez les Juifs sécularisés, son succès dépendra de sa capacité à s’étendre aux secteurs religieux et traditionalistes, devenus incontournables.

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