La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) a fait une sortie il y a quelques jours pour appeler à une modernisation de la formation générale au cégep.

On évoquait tout particulièrement les cours de français/littérature et de philosophie. La FECQ vantait les cégeps anglophones, où les choix de cours sont plus parlants pour les étudiants, vis-à-vis du cursus de philo plus rigide dans les collèges francophones. En tant que prof de philo (et je ne parlerai ici que de la philo), et en sachant que je tire un peu dans le pied de ma profession en écrivant cette lettre ouverte, je tiens à dire tout simplement ceci : ils ont raison.

Je me souviens de cette phrase, que m’avait lancée un haut fonctionnaire il y a quelques années dans son bureau à Québec, alors qu’il menait des consultations sur l’avenir des cégeps : « jusqu’à quand on va faire la même chose dans les cours de philo ? » C’était un dénommé M. Demers, qui avait été mandaté par le gouvernement de l’époque pour explorer la possibilité de changer quelque chose. J’étais allé déposer mon petit mémoire, dans l’espoir partagé avec lui qu’un jour, ça change. Parce que je pense que le plus important à cet âge, c’est qu’ils lisent, qu’ils discutent et qu’ils écrivent à propos de quelque chose qui les intéresse. Pas qu’on leur impose encore des classiques incontournables.

L’âge pour ces choses obligatoires est au secondaire. C’est pourquoi j’ai déjà milité pour que les cours d’Éthique et culture religieuse deviennent des cours de philosophie et non des cours d’éducation citoyenne. Apprendre l’Allégorie de la caverne et le « je pense, donc je suis », ça devrait se faire à 15 ans, pas à 18. Cet âge de la majorité à l’école (bref, celui des études supérieures) devrait rimer à deux choses, du point de vue du monde des idées : qu’est-ce qui intéresse l’étudiant et qu’est-ce qui intéresse le prof ?

Le Québec de 2023 n’est pas celui encore tout ébouriffé de la Révolution tranquille, nous sommes ailleurs et la formation obligatoire collégiale doit le refléter.

Les profs de philo au cégep, depuis les 15 ans que je pratique ce métier, ont complètement changé de visage. Alors que peu d’entre eux se risquaient à l’écriture et la recherche à une certaine époque, c’est aujourd’hui monnaie courante et il faut s’en réjouir. Ouvrir l’éventail du choix des étudiants permettrait d’encourager ce renouveau de dynamisme chez les profs.

La levée de boucliers avait été immédiate à l’époque de M. Demers. Les défenseurs d’une culture générale commune ont complètement dominé le débat et ce pauvre monsieur n’a pas changé quoi que ce soit aux cégeps à la suite de sa consultation. Ce n’était pas son mandat, m’avait-il souligné, il ne faisait qu’explorer. Toutefois, il me semble clair que si on veut sauver les humanités, qui semble-t-il sont en déclin, il faut les rendre plus sexy le plus tôt possible dans le cursus des étudiants. Et Socrate, pour la vaste majorité d’entre eux, c’est aussi excitant qu’un bar de danseuses sur le bord d’une autoroute. Après le cégep, il sera trop tard, puisque c’est pour la majorité le dernier contact scolaire qu’ils auront avec tout ce qui touche la réflexion.

Je ne trouve plus les arguments pour défendre l’importance d’universellement étudier Platon pour un jeune adulte. Pour un enfant, oui, pour un ado, certainement. Mais un adulte devrait avoir le choix, tout en étant contraint à réfléchir. J’ai retenu longtemps ce que je m’apprête à écrire parce que ça ferait perdre des jobs à des futurs collègues si on change tout ça, mais allez, « ose penser par toi-même », me murmure Kant.

Je pense sincèrement qu’il faut réduire en nombre, voire abolir, les cours de philo obligatoires au cégep.

Un choix de cours dans une banque de cours « arts et humanités » me semble de loin plus pertinent, à la fois pour la motivation d’un étudiant qui arrive à la fin de son parcours scolaire (les étudiants en technique, sans plans universitaires, tout particulièrement) et pour les profs, qui seront poussés à inventer, créer, bref se donner les poumons de leurs ambitions spéculatives. Histoire de l’esclavage, psycho des médias, socio conservatrice québécoise, philo féministe, peinture moderne, histoire des téléséries américaines, langues : si un étudiant faisait trois ou quatre de ceux-là au lieu des trois cours de philo actuels, il aimerait davantage les humanités et les arts, bref la réflexion, qui n’a pas à être chapeautée par la philosophie comme c’était le cas au Moyen Âge.

Un des buts des cégeps n’est-il pas d’élargir les horizons ? Dans mon propre département, où il y a plus d’une trentaine de profs de philo, seulement un cours par session est accordé à un prof chanceux qui peut créer un cours complémentaire de philo de son cru. C’est dans ce contexte que j’ai pu faire ma philo du hip-hop pendant huit ans. Cette année, j’ai passé le flambeau à un collègue qui enseigne « l’art de convaincre » et ses classes débordent. Je rêve d’un cégep où tous les profs de la formation générale puissent ainsi inventer, et les étudiants profiter du fait que leurs profs ne sont pas des enseignants qui remâchent un devis ministériel à leur sauce, mais leur offrent plutôt les plus belles années de leur vie de l’esprit, comme des semences printanières de la pensée.

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