TikTok aura, l’instant de quelques jours, fait un tour du monde médiatique dont sa maison mère chinoise ByteDance se serait bien passée. Désormais controversée, cette application de courtes et innocentes vidéos de danse s’avère être, au bout du compte, potentiellement une plateforme qui pourrait être qualifiée d’outil d’espionnage ou à tout le moins d’influence. Un cheval de Troie numérique, digne du XXIe siècle.

Est-ce réellement possible ? Est-ce que TikTok, que nos enfants utilisent de (très) nombreuses heures par semaine, peut réellement être un outil de manipulation à distance par un gouvernement totalitaire chinois qui ne cherche pas forcément le bien de la population mondiale, mais plutôt à mieux la comprendre à des fins économiques et politiques ?

Malheureusement, la réponse est oui. Et à ceux qui en douteraient encore, eh bien sachez que TikTok n’existe pas en Chine. TikTok est une application spécifiquement créée pour s’implanter à l’international. Une aberration économique si l’on ne regarde que le coût important d’un tel projet, puisque TikTok n’est qu’un copier-coller d’une application identique, née un an plus tôt, et utilisée par des centaines de millions de Chinois, appelée Douyin. Pourquoi dès lors recréer l’existant pour envahir le monde ? Aucune entreprise économiquement sensée ne se lancerait dans un tel projet ! Sauf si…

Sauf si votre application d’origine (dans le cas présent Douyin) était soumise à une censure imposée par la République populaire de Chine. Et c’est effectivement le cas. Aucune application en Chine ne peut, par exemple, faire en sorte d’essayer de soulever la population contre le gouvernement en place, ne peut inciter à faire de la discrimination, ou encore ne peut faire de la désinformation.

En créant TikTok pour son expansion à l’international, ByteDance (dont le gouvernement chinois est actionnaire, c’est important dans l’équation), contourne ainsi la censure de l’internet chinois et peut donc, en toute logique, désinformer, discriminer ou encore renverser.

Mais surtout, il peut accéder aux données présentes sur vos appareils, sur demande du gouvernement chinois, sans autres mesures juridiques (contrairement aux États-Unis ou au Canada ou dans les pays de l’Union européenne). Des données qui prises seules ne sont pas intéressantes (savoir à quelle école va votre enfant n’est pas si stratégique), mais qui prises collectivement donnent des indications sociétales sur notre fonctionnement en Occident.

Si en réalisant cela vous commencez à avoir quelques sueurs froides dans le dos, ne lisez pas ce qui s’en vient…

Domination technologique

La Chine, vous le comprendrez à présent, est capable technologiquement de s’infiltrer dans nos vies, dans nos démocraties (pas seulement la Chine, mais avec un régime totalitaire, on ne peut passer cela sous silence). Mais le pire reste potentiellement à venir. Il faut savoir que la Chine, selon les dernières recherches de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), a jeté les bases pour se positionner comme la première superpuissance mondiale en sciences et technologies, en établissant une avance (parfois étonnante) dans la recherche à fort impact, et ce, dans la majorité des domaines technologiques critiques et émergents.

L’avance mondiale de la Chine s’étend à 37 des 44 technologies que l’ASPI suit actuellement, couvrant une gamme de domaines technologiques cruciaux comme la défense, l’espace, la robotique, l’énergie, l’environnement, la biotechnologie, l’intelligence artificielle (IA), les matériaux avancés et les domaines clés de la technologie quantique (cette technologie qui, dans l’avenir, pourrait très bien remplacer l’informatique que nous connaissons tous).

Le Critical Technology Tracker montre que, pour certaines technologies, les 10 meilleurs instituts de recherche mondiaux sont établis en Chine et génèrent collectivement neuf fois plus d’articles de recherche à fort impact que le pays classé deuxième (le plus souvent, les États-Unis).

Notamment, l’Académie chinoise des sciences se classe très bien (et souvent première ou deuxième) parmi bon nombre des 44 technologies incluses dans le Critical Technology Tracker. Le rapport de l’ASPI constate également que les efforts de la Chine sont renforcés par l’importation de talents et de connaissances : un cinquième (20 %) de ses articles à fort impact sont rédigés par des chercheurs ayant suivi une formation de troisième cycle dans un pays des Cinq Yeux, traduction littérale des « Five Eyes » qui désigne l’alliance des services de renseignement de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis. Au sein des « Five Eyes », pour le Canada, on retrouve le chef du renseignement de la Défense, le Centre de la sécurité des télécommunications Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité.

Il faut comprendre que l’avance de la Chine est le produit d’une conception délibérée et d’une planification politique à long terme, comme l’ont souligné à plusieurs reprises le président Xi Jinping et ses prédécesseurs. Il pourrait donc être pertinent de mettre en place dans nos pays occidentaux une forme de régulation qui permettrait de filtrer, selon certains critères et avant installation dans nos cellulaires, les applications provenant de pays qui ne partagent pas notre vision de la société. Des filtres à l’image de l’industrie alimentaire qui réglemente ce qui se retrouve dans vos assiettes pour ne pas créer d’enjeux de santé, car nous ne voudrions certainement pas empoisonner nos enfants. Des filtres qui nous protégeront collectivement, qui protégeront nos démocraties et qui protègeront le cerveau de nos enfants et les nôtres d’adultes.

Alors, TikTok, une application dont il faut se méfier ? Je vous laisse tirer vous-même les conclusions.

Consultez l’« ASPI’s Critical Technology Tracker » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion