Nous, étudiantes en soins infirmiers du Québec, sonnons l’alerte concernant une mesure récente qui, nous en sommes convaincues, affectera gravement l’avenir des soins infirmiers dans notre province.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux a annoncé que toutes les infirmières qui ont reçu leur permis après le 12 décembre 2022, peu importe leur niveau d’éducation, commenceront au pied de l’échelle salariale, soit à l’échelon 1. Pendant des décennies, les nouvelles infirmières titulaires d’un diplôme universitaire ont pourtant commencé leur carrière à l’échelon 7, reflétant leur formation universitaire. En d’autres mots, les infirmières titulaires d’un baccalauréat et d’une maîtrise font face à une réduction salariale de près de 20 %1.

Depuis longtemps, les infirmières du Québec ont droit à une augmentation salariale équivalente à deux échelons par année d’études universitaires à temps plein. Comme dans la plupart des domaines professionnels, les années de scolarité supplémentaires se traduisent par un salaire plus élevé. Cette mesure incitative a été mise en place pour dissuader les infirmières de quitter la province à la recherche d’un salaire plus compétitif.

Tristement, si une infirmière devait chercher un salaire plus élevé, elle le trouverait n’importe où à l’extérieur du Québec.

Le salaire annuel de base d’une infirmière à temps plein au Québec demeure le plus bas du pays, même pour celles qui commencent à l’échelon 7. En effet, les nouvelles infirmières du Québec sont présentement payées 20 000 $ de moins qu’ailleurs au Canada. Malgré tout, le simple fait d’offrir un salaire de base plus élevé en échange d’une formation plus poussée a permis de retenir de nombreuses infirmières bachelières au Québec2. Aujourd’hui, cette mesure incitative est abandonnée, nous laissant le sentiment d’être trahies, méprisées et, bien franchement, insultées.

Depuis cette annonce, de nombreuses étudiantes en soins infirmiers ont exprimé leur intention de quitter le Québec pour d’autres provinces où les salaires, les conditions de travail et le soutien gouvernemental sont nettement meilleurs.

À noter que ces membres de la relève prévoyaient initialement rester au Québec. De plus en plus d’infirmières sont déjà poussées à quitter le réseau pour aller travailler dans des agences privées, dans d’autres provinces ou même à quitter complètement la profession d’infirmière. La diminution du salaire attendue après les études de nos infirmières bachelières ne fait qu’empirer cette situation déjà critique.

Nous sommes devenues infirmières par passion et nous voulons demeurer au Québec, mais ces conditions ne nous permettent pas d’y rester. Tout au long de la pandémie, que ce soit au cours de nos études ou dans les hôpitaux, nous avons continué à prodiguer des soins et à soutenir notre système de santé fragilisé malgré les conditions de travail dangereuses et le manque apparent de respect de la part des dirigeants provinciaux. Il y a des limites aux indignités que nous pouvons endurer ; nos prédécesseurs en parlent depuis des années, il est temps que nous soyons entendues.

De nombreuses étudiantes jugent que cette nouvelle mesure est carrément dégradante. Elle dévalorise notre profession et nous indique que le besoin « de bras » dans les hôpitaux est plus important que de poursuivre notre formation. Nous ne sommes pas des anges gardiens ou des superhéros, nous sommes des professionnelles intelligentes, compétentes et ambitieuses qui méritent d’être payées à leur juste valeur.

La suppression de cette incitation salariale est illogique et irrationnelle, d’autant plus que d’autres professionnels de la santé, notamment nos collègues médecins, ont reçu des augmentations salariales pendant la pandémie. Selon un rapport de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), la province devra embaucher 10 000 infirmières supplémentaires en 2023 pour répondre à la demande croissante de services de santé3.

Le Québec détient le taux de postes vacants dans le domaine de la santé le plus élevé au Canada.

En effet, le nombre de travailleurs de première ligne manquants a augmenté de 43 % au cours des dernières années ; cela représente plus de 4000 infirmières ayant quitté le marché du travail. Tout au long de la pandémie, il est devenu évident que cette pénurie d’infirmières constitue un risque pour la qualité des soins aux patients.

Trop, c’est trop. La crise actuelle est l’aboutissement de décennies de négligence et d’hostilité envers les infirmières. Les propos de l’actuel ministre de la Santé concernant la rétention du personnel infirmier sonnent creux lorsque nous observons les mesures réelles mises en place depuis le début de son mandat. La suppression des avantages salariaux pour les infirmières bachelières est d’autant plus surprenante qu’elle contredit l’initiative du ministère de l’Éducation visant à soutenir l’inscription aux programmes universitaires de sciences infirmières. Il est clair que nos dirigeants ne communiquent pas efficacement et, franchement, nous nous sentons exclues de la conversation.

Les infirmières sonnent l’alarme depuis des années. Nous sommes là pour aider, mais nous sommes aussi des êtres humains. Cette diminution du salaire de base des nouvelles infirmières avec un diplôme universitaire est inacceptable. Le système de santé québécois est en crise, et au cœur de cette crise se trouve la rétention infirmière.

Nous devons agir pour la relève infirmière. Pour ce faire, nous proposons des solutions concrètes qui s’attaquent à ce problème. Nous demandons un changement qui doit se produire dès aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous demandons l’équité salariale avec nos collègues des autres provinces et des autres domaines de la santé.

Aujourd’hui, nous demandons d’encourager et de soutenir les infirmières qui cherchent à faire des études supérieures.

* Cosignataire : Samantha Wiesenfeld, infirmière, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières, Université McGill

Infirmières, étudiants, gestionnaires et enseignantes infirmières appuyant ce texte : Samantha Wiesenfeld, infirmière, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill ; Laura Sokolowski, vice-présidente interne de l’Association étudiante d’études supérieures en soins infirmiers de l’Université McGill ; Koralie Yergeau, infirmière, étudiante au baccalauréat en sciences infirmières ; Khawla Hassan et Carol Li, étudiantes au baccalauréat en sciences infirmières à l’Université de Montréal et représentantes étudiantes au C.A. de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers (AQII) ; Kenza Rahmi, porte-parole de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers (AQII) ; Caroline Dufour, infirmière, doctorante et chargée de cours à l’Université du Québec en Outaouais ; Chantel Findlay, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill ; Marilyne Sabourin, étudiante infirmière praticienne spécialisée à l’Université McGill ; Rebecca McPherson, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill ; Morgane Lasry, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill ; Ashley Khoury, vice-présidente académique et infirmière praticienne spécialisée ; Camilo Sierra, étudiant à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill ; Rosa Cabezas, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université McGill ; Natalie Stake-Doucet, infirmière chercheuse et chargée de cours à l’école Ingram des sciences infirmières ; Rosetta Antonacci, professeure adjointe à l’école Ingram des sciences infirmières ; Catherine-Anne Miller, chargée d’enseignement à l’école Ingram des sciences infirmières

1. Consultez la convention collective des infirmières de la FIQ 2. Consultez la convention collective des infirmières du Canada 3. Lisez l’article de La Presse : « 65 millions pour recruter 1000 infirmières à l’étranger » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion