Au cours de la dernière année, 14 féminicides et six filicides ont été commis dans un contexte conjugal par un conjoint ou un ex-conjoint. Tragiquement, cette épineuse et douloureuse réalité ne s’essouffle pas.

Dans ces circonstances, les campagnes de sensibilisation demeurent indispensables et nous saluons les efforts gouvernementaux visant à informer et à conscientiser la population de manière juste et percutante. À raison, la violence conjugale et la violence conjugale postséparation figurent au rang des sujets d’actualité traités dans les médias. Par contre, le traitement de la problématique prend parfois des chemins sinueux qui révèlent soit une compréhension biaisée, soit une intention fourbe. C’est ici l’objet de notre intervention.

Le 22 janvier dernier, à l’émission Tout le monde en parle, lors d’une entrevue autour de la série À cœur battant, l’une des deux têtes d’affiche, Roy Dupuis, a mentionné que la violence conjugale était une maladie. L’intervention a suscité beaucoup de réactions favorables sur les réseaux sociaux. A contrario, les propos d’Ève Landry, voulant que la violence est un choix, n’ont pas soulevé les passions, comme quoi dans l’opinion publique, l’excuse de la maladie l’emporte facilement sur l’inexcusable choix !

Pourtant, associer la violence conjugale à une maladie est trompeur et insidieux. Non, la violence n’est pas une maladie !

Si la violence était une maladie, pourquoi atteindrait-elle très majoritairement les hommes qui sont les auteurs d’actes de violence conjugale dans quelque 80 % des situations ? Pourquoi les symptômes de cette maladie ne se manifesteraient-ils que dans la sphère conjugale dans bien des cas ? Le recours à la violence est un comportement appris et malheureusement trop souvent toléré et trop peu puni lorsqu’il s’exerce à l’endroit des femmes, notamment dans le contexte conjugal. S’il s’agit d’un comportement appris, l’auteur peut apprendre autre chose. Autrement, il lui serait inutile d’essayer de changer.

Le Plan d’action gouvernemental en matière de violence conjugale 2018-2023 est clair : les agresseurs sont responsables de leurs comportements violents ; l’intervention doit viser à leur faire reconnaître leur responsabilité face à leur violence et à l’assumer (p. 23). La responsabilité du recours à la violence doit donc être au cœur des interventions, chacun étant responsable de ce qu’il fait avec ce qu’il ressent, quelle que soit son histoire individuelle et familiale.

Affirmer que la violence conjugale est une maladie constitue une justification qui cherche à rendre tolérable l’intolérable, admissible l’inadmissible, excusable l’inexcusable.

La fonction des justifications est de normaliser l’abus de pouvoir afin d’éviter les conséquences sociales et judiciaires et nourrit la tolérance sociale.

La maladie, par exemple la maladie mentale qui altérerait le libre arbitre conduit à la non-responsabilité. Justifier « l’agir » d’un conjoint ou ex-conjoint aux comportements violents par des propos comme : il a eu une enfance malheureuse, il est malade… le maintien dans un registre de non-responsabilisation. Parmi les principes de base pour comprendre le schéma comportemental des auteurs de violences conjugales et postséparation figurent les notions de choix personnel et d’autorisation que l’individu se donne pour recourir aux violences.

L’être humain a besoin de comprendre, de trouver un sens aux situations bouleversantes. Dans le cadre de la violence conjugale, cette analyse s’effectue, entre autres, à travers un processus de justification qui cherche à rendre la situation humainement acceptable. Par exemple, lorsqu’un homme agresse sa conjointe, n’est-il pas plus rassurant de penser que c’est la maladie qui le pousse à agir ainsi, que de considérer qu’il recourt à la violence par choix ? Les justifications font basculer la responsabilité des actes de l’agresseur, au mieux vers une cause extérieure, au pire sur les épaules de la femme qui les subit. Les justifications sont efficaces parce qu’elles ont du « sens » pour la femme, l’entourage et les intervenantes et intervenants qui reçoivent un client ayant des comportements violents.

À lire

Les justifications ont été abordées sous plusieurs angles par différents chercheurs :

La légitimité du pouvoir chez les conjoints dominants : une étude exploratoire des stratégies de justification du modèle du Processus de domination conjugale (Ayotte, Brisson, Potvin, Prud’homme, Tremblay, 2007).

La responsabilisation est une position éthique qui favorise l’arrêt d’agir, reconnaissant à chacun la capacité de ne pas recourir à la violence (Jacques Broué, 1999)

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