La Sûreté du Québec vient de publier ses statistiques des collisions routières1 et ma foi du bon Dieu, on se croirait dans l’allégorie de la caverne de Platon. Nous sommes encore prisonniers d’une caverne où des marionnettistes tentent de maintenir l’illusion. Seules les connaissances acquises par l’éducation permettent aux prisonniers de sortir de la caverne, de voir la lumière du jour, et de prendre contact avec la réalité.

La Sûreté du Québec compare les résultats de l’année 2022 avec ceux de 2021. On ne pouvait pas trouver plus boiteux. Le couvre-feu de 2021 a été en vigueur du 9 janvier au 28 mai. Il interdisait à toute personne de se trouver hors de sa résidence entre 20 h et 5 h. Celui de 2022, qui n’avait jamais été demandé par la Santé publique, n’a été en vigueur que pendant 18 jours.

Deux facteurs expliquent les variations des bilans routiers. Le facteur de risque propre à une région et l’exposition à ce facteur. Conduire au Québec est terriblement sécuritaire malgré les statistiques que l’on nous envoie à la pelletée. Malheureusement, on ne compile toujours pas la seule statistique qui permet des comparaisons justes d’une année à l’autre, soit le nombre de victimes par tranche de 160 millions de kilomètres parcourus. Notre bilan devrait être aussi bon, sinon meilleur que celui des Américains avec un minime total de 1,34 décès par tranche de 160 millions de kilomètres.

Stephen J. Dubner et Stephen D. Levitt, auteurs de l’émission de radio Freakonomics, l’ont habilement imagée : « Incroyablement bas [le risque de conduire une automobile]. Si la seule chose qui pouvait vous tuer était la conduite automobile, et que vous ne faisiez que conduire votre voiture jour et nuit, vous pourriez espérer vivre 250 ans. »

Décoder les chiffres

Tel que l’indique le titre du livre de Sylvie Lidgi Tous délinquants ?, il est permis de nous demander si nos dirigeants le pensent à mots couverts mais l’expriment ouvertement avec les nouvelles mesures de répression routière que l’on instaure sans cesse. En 2015, le ministre des Transports de l’époque, Robert Poëti, annonçait le retrait de l’appareil qu’il avait appelé la « trappe à tickets » la plus payante et qui rapportait plus que l’ensemble des 14 autres radars photo de la première vague. Si un radar peut prouver que les usagers de la route circulent un peu plus rapidement que la limite affichée, il peut aussi très bien prouver d’une manière irréfutable le rôle bien secondaire de la vitesse. Le ministre admettait que ce radar n’était pas dans une zone accidentogène.

La vitesse n’est pas la cause principale dans 95 % des collisions routières, comme le rapportait en 2006 une étude du Transport Research Laboratory. Durant sa dernière année d’opération, le radar photo de la 15 Sud avait flashé 31 000 conducteurs qui n’ont pas été suffisamment attentifs pour remarquer les panneaux de signalisation. « La route vous parle, écoutez-la », pour reprendre ce bon slogan du ministère des Transports.

La Sûreté du Québec en ajoute une couche. La distraction au volant aurait entraîné 1 collision mortelle sur 10. Pourtant, en 2016, Transports Canada évaluait que l’inattention avait causé 21 % des collisions fatales et 27 % des collisions avec au moins un blessé grave. Qui dit vrai ?

Dans l’effort de nous maintenir dans l’illusion de la relative dangerosité élevée de circuler sur nos routes, la Sûreté du Québec affirme que 2022 a été la pire année depuis une décennie. Si seulement la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) compilait la statistique du nombre de décès par tranche de 160 millions de kilomètres, il existe une possibilité que le bilan de 2022 soit plutôt le meilleur.

Il y a une variable qui a pesé bien lourd dans le résultat de 2022, et c’est aussi la même qui avait vidé les coffres de la SAAQ 20 ans plus tôt avec le dollar qui s’échangeait à 0,62 $ américain. Les Québécois ont pris leurs vacances estivales ici. La période des vacances estivales plombe les bilans routiers des pays. On accumule des kilomètres de route qui accroissent de manière exponentielle le nombre des interactions entre les différents usagers, accroissant ainsi le risque d’accidents mortels.

Toutes les fois que l’on tente de vous convaincre d’un constat avec des statistiques, prenez ça avec un grain de sel. Ronald Harry Coase, titulaire du prix Nobel des sciences économiques, avait dit jadis : « Si nous torturons suffisamment les données, elles finiront par avouer. »

1. Lisez l’article « Bilan routier 2022 de la SQ : hausse “préoccupante” des décès, surtout chez les piétons » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion