Depuis presque un an, la guerre qui s’est enclenchée en Ukraine, après l’invasion illégale de son territoire par la Russie, a plongé une partie du monde dans la crise et une véritable léthargie. Nous parlons d’un attentisme inquiétant de la part de l’Occident : pas l’attente que la guerre se finisse sans agir, car Européens et Américains ont largement financé et fourni Kyiv en matériel militaire, mais l’attente qu’une vraie solution à la guerre pointe son nez.

Que l’un ou l’autre gagne ne résoudra rien et ne préparera en rien la paix pourtant indispensable pour la sécurité de l’ensemble du continent européen. La solution politique négociée est a priori la seule viable, sans quoi nous basculerons véritablement dans cette fameuse troisième guerre mondiale souvent brandie comme le teaser d’un mauvais film. En attendant, nous attendons. Car, depuis plusieurs mois, ce choix politique de raison peine à creuser son sillon dans les opinions et à infuser auprès des gouvernants occidentaux.

Le choix clair de Bruxelles et Washington, entre autres, d’armer l’Ukraine a permis au pays agressé de résister, de repousser les Russes et de reconquérir quelques territoires pris rapidement par Moscou dès février dernier. Mais tout cela n’est-il pas un peu artificiel ? C’était une solution provisoire pour un conflit court, ou que l’on espérait court. Or, depuis des semaines, les choses s’enlisent sans progression spectaculaire d’un côté ou de l’autre et nous basculons déjà dans le temps long. Bientôt, nous serons à court. Au fond, plutôt que de radicalement imposer la solution de la négociation, pour Zelensky et pour Poutine, qui se rejettent d’ailleurs en permanence la responsabilité de l’impasse, il semblerait que nous ayons totalement démissionné de notre mission première, en n’invoquant même plus le système multilatéral ou les Nations unies pour régler la paix.

C’est en cela que nous attendons une fois encore en ne faisant que compter les points jusqu’à ce que l’un ou l’autre des camps s’épuise. Dans les deux cas, les conséquences seront dévastatrices.

Malgré nos efforts immenses, la Russie, que l’on disait perdue, à l’armée décadente, démotivée, poussiéreuse et vieillissante, sans commandement stratégique suffisamment efficace, est toujours là. Vladimir Poutine, annonce après annonce, continue à croire à ses mensonges et entraîne la population russe unie et résiliente derrière son chef, un peu plus chaque jour dans l’inconnu.

Repenser le Conseil de sécurité

Il n’y a pas 50 solutions pour éviter d’aboutir au pire avec cette guerre que de refonder intégralement, sur les « cendres » de l’Ukraine, notre droit international et ses garants. Il faut replacer la diplomatie au cœur du concert des nations avant tout. Il faut remettre à plat avant tout la formation du Conseil de sécurité, datant des équilibres de l’après-Seconde Guerre mondiale, pour le rendre plus proche de la réalité géopolitique d’aujourd’hui. Il ne peut plus y avoir uniquement cinq membres permanents de ce Conseil d’insécurité. Le veto russe est devenu un problème comme le veto américain dans nombre de conflits.

Ce sont toutes ces situations aux deux poids, deux mesures qui ont fait que les Occidentaux ont saboté eux-mêmes l’ordre international qu’ils ont construit avec le reste du monde, mais « à l’occidentale » depuis 1945. Ce sont ces deux poids, deux mesures qui ont progressivement aliéné le Sud global (Global South, en anglais) à l’Occident. Et qui ont fait qu’aujourd’hui ces régions ne nous soutiennent plus et ne soutiennent plus notre discours qui sonne désormais plus que faux sur la justice et le droit international toujours à géométrie variable, selon nos intérêts, nos censures et nos autocensures.

On le sait, mais on refuse de l’avouer : Vladimir Poutine n’est pas en guerre contre l’Ukraine, mais contre le bloc occidental. L’Ukraine, comme il n’a cessé de l’écrire et de le dire, ce n’est que le début.

Les Occidentaux, en soutenant en aval l’Ukraine sans aucune autre stratégie que la fierté de penser bien faire, ne pensent qu’à vite se débarrasser de ce problème comme ils ont cru vite se débarrasser de la COVID-19, dans leur habitude acquise de la facilité assistée et de l’immédiateté. Ils ne peuvent plus rien imaginer et affronter à long terme. Poutine et Xi ont le temps pour eux : d’abord car ils pensent dans le temps long, ensuite parce que le bloc eurasiatique-asiatique dispose de ressources illimitées.

C’est aujourd’hui que Poutine, en grand inquisiteur, est en train de dresser un tribunal pour l’Occident, en ralliant des millions d’individus à sa cause. Ce n’est pas de l’autoflagellation que de le dire, mais c’est bien plutôt pour tenter d’éclairer ce que nous allons décider aujourd’hui afin de ne pas ajouter une fois de plus l’erreur aux errements et continuer, nous Occidentaux, de creuser notre tombe stratégique et morale.

* Sébastien Boussois est aussi chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism).

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