Durant quatre jours, des élus du Freedom House Caucus, une faction républicaine incarnant la droite radicale au Congrès des États-Unis, ont pris en otage le pouvoir législatif en refusant de voter pour le représentant Kevin McCarthy pour le poste de président de la Chambre des représentants.

Si certains peuvent y voir une manipulation des procédures dans le but d’accentuer l’influence de la droite radicale étatsunienne au sein de la Chambre basse du Congrès, il ne faut pas perdre de vue que pour ces élus, l’obstruction politique n’est pas seulement un moyen, mais bien une fin en soi.

La droite radicale au pays de l’Oncle Sam

Dans le contexte des États-Unis, la droite radicale fait référence à une constellation de groupes et d’acteurs conservateurs qui acceptent les principes de démocratie et de souveraineté populaire, mais rejettent certaines valeurs fondamentales des démocraties libérales modernes, notamment la protection des droits des minorités, le pluralisme et le multiculturalisme. Selon le politologue Cas Mudde, cette droite se démarque de ses semblables européens par son populisme dont les racines remontent à la fondation même du pays.

À titre indicatif, le populisme représente à la fois une idéologie et un style politique. En tant qu’idéologie, le populisme divise la société en deux groupes antagonistes, le peuple pur et l’élite corrompue, et soutient que les politiques publiques devraient être le reflet de la volonté générale du peuple. En tant que style politique, le populisme se reflète chez les politiciens se réclamant de la volonté populaire et dénonçant les adversaires du peuple comme faisant partie d’une élite corrompue.

Ainsi, le populisme de la droite radicale étatsunienne s’incarne dans une opposition farouche au gouvernement fédéral des États-Unis, perçu comme étant une force corrompue ne défendant pas les intérêts du peuple et dont les pouvoirs devraient être limités, voire abolis, au profit de la défense des droits des États.

Comme le soulignent les historiens Chip Berlet et Matthew Lyons, cette méfiance à l’égard du gouvernement fédéral, imbriquée dans la culture politique étatsunienne, fut instrumentalisée à travers l’histoire des États-Unis par des mouvements répressifs. Par exemple, l’abolition de l’esclavage à la fin de la guerre civile fut dépeinte par les sudistes vaincus comme l’imposition d’un ordre tyrannique par Washington, menaçant le mode de vie des anciens États confédérés.

Sur le plan économique, du New Deal à l’Obamacare, la droite radicale étatsunienne s’est systématiquement opposée à l’accroissement du filet social et à l’intervention du gouvernement dans l’économie des États-Unis, alors vus comme une grossière ingérence de Washington dans la vie des individus.

Jeter du sable dans l’engrenage

Bien que différentes formes d’obstruction politique aient toujours sévi à Washington, c’est lors de la présidence de Barack Obama que le Parti républicain s’est systématiquement et délibérément mis à ralentir et même à bloquer le processus législatif au sein des deux chambres du Congrès. Mobilisant plusieurs procédures législatives, comme le filibuster ou les menaces de shutdown ou de non-renégociation du seuil de la dette du gouvernement fédéral, cette stratégie obstructionniste visait à forcer Obama à céder aux demandes républicaines et à empêcher le Parti démocrate de réaliser son programme législatif.

Cependant, pour une poignée d’élus de la droite radicale qui composent le Freedom House Caucus, l’obstruction législative n’est pas uniquement un moyen d’obtenir des gains politiques, mais bien une fin en soi, dans la mesure où ils cherchent à rendre le gouvernement fédéral inefficace par voie de sabotage législatif. Surnommé le « Hell No Caucus » entre les murs du Congrès, ce groupe d’élus n’épargne pas les modérés républicains, qui seraient trop enclins à faire des compromis avec les démocrates. Par exemple, l’abrogation de l’Obamacare par l’administration Trump, pourtant un cheval de bataille républicain, a fait l’objet d’une opposition par les élus du Freedom House Caucus car ils estimaient le projet trop modéré.

Si cette forme d’obstruction politique peut paraître irrationnelle et nuisible à la gouverne du pays, le Freedom House Caucus fait de l’obstruction sa marque de commerce en se positionnant comme le seul rempart permettant de limiter les pouvoirs du gouvernement fédéral.

Comme le note le politologue John W. Patty, pour ces élus, ralentir ou bloquer le processus législatif devient un gain en soi, car empêcher l’une des principales institutions fédérales de fonctionner efficacement est un excellent moyen de prévenir de plus grandes incursions de Washington dans la vie des Américains.

La faible majorité républicaine à la Chambre des représentants, conséquence de la piètre performance du parti aux dernières élections de mi-mandat, et les importantes concessions consenties par Kevin McCarthy au Freedom House Caucus pour sécuriser son siège de président de la Chambre, donnent désormais la balance du pouvoir à la droite radicale américaine si les républicains souhaitent faire passer un projet législatif sans l’appui de démocrates. Il y a donc fort à parier que le cirque se poursuivra bientôt dans un nouvel épisode.

Right Wing Populism in America : Too Close for Comfort, Chip Berlet et Matthew Lyons (2001), The Guilford Press

The Far Right in America, Cas Mudde (2018), Routledge

« Signaling Through Obstruction », John W. Patty (2015), American Journal of Political Science. 60(1). pp. 175-189

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