En réponse à la lettre du scientifique en chef du Québec et de trois directrices scientifiques du Fonds de recherche du Québec, « Réflexion sur le lien entre science et société » ⁠1, publiée le 8 décembre

1. Lisez « Réflexion sur le lien entre science et société »

À la suite d’une lettre cosignée par quatre chercheurs sur les critères d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) et les objectifs de développement durable (ODD) imposés par les Fonds de recherche du Québec (FRQ)⁠2, le Scientifique en chef du Québec et les trois directrices scientifiques des FRQ ont jugé bon de répondre pour minimiser les possibilités de dérives évoquées dans la lettre initiale. Sous couvert de service public, les auteurs justifient les critères imposés aux chercheurs-étudiants en mettant l’accent sur le caractère facultatif des principes EDI et ODD.

Or, étant moi-même doctorant en fin de parcours, j’ai déposé une demande de bourse postdoctorale pour compléter ma formation de chercheur en France l’an prochain.

Afin d’espérer obtenir une bourse qui couvre à peine les frais de subsistance, les candidats sont évalués en fonction de :

  • Leur dossier académique et de leur parcours (35 points) ;
  • La qualité de leur projet de recherche (50 points) ;
  • La pertinence de leur milieu d’accueil (15 points).

Si ces catégories semblent à même de séparer le bon grain de l’ivraie en matière d’excellence des projets scientifiques, les FRQ ont également précisé ce que constituent à leurs yeux de bons projets de recherche. Ils doivent être originaux, contribuer à l’avancement des connaissances, avoir une problématique claire et cohérente et être réalisables. Or, ces critères ne sont plus suffisants aux yeux des FRQ. Un bon projet de recherche devrait aussi prendre en considération les principes abstraits d’EDI et d’ODD lesquels, nous assurent les signataires, seraient « facultatifs ».

En réalité, en tant que demandeur de bourse, je dois justifier (cela est en effet exigé) pourquoi mon projet sur l’histoire de l’institutionnalisation du brevetage dans les universités ne prend pas en compte les objectifs d’ODD ni les principes EDI, et dois donc affirmer – à mes risques – que c’est simplement parce que ma problématique de recherche ne porte pas sur ces questions. C’est aussi cela, la « diversité » en recherche… Or, le diable est dans les détails.

Des points étant associés à ces justifications, on ne peut pas considérer qu’elles n’aient aucun effet négatif sur la notation finale ! En conséquence, on peut s’attendre à ce que les candidats et les candidates au concours préfèrent tricoter une réponse positive pour faire plaisir aux Fonds plutôt que d’expliquer par la négative en quoi leur projet ne contribue pas à la nouvelle vertu.

Curieusement, les signataires justifient leurs principes en mentionnant au passage que les études sur les accidents de voiture gagneraient à utiliser plusieurs types de mannequins d’impact afin d’éviter les blessures subies par les femmes et les personnes âgées ou obèses. Mais cela est une évidence et porte sur la représentativité d’un échantillon, ce qui relève de la méthodologie scientifique. S’assurer que la méthodologie soit adaptée à l’objet va de soi et n’a rien à voir avec « l’EDI ». En fait, exiger qu’une personne justifie pourquoi elle n’étudie pas un certain objet avec une certaine méthode remet en cause sa liberté de chercheur.

À la fin de leur lettre, les auteurs se font néanmoins rassurants. Ils rappellent que les FRQ revoient leurs « critères d’évaluation » annuellement. À la suite de critiques justifiées, ils disent avoir « éliminé les critères sur la mobilisation sociale » en 2021, même si en fait la reformulation des questions l’inclut de façon indirecte. Néanmoins, cela suggère que les FRQ peuvent comprendre que les étudiants sont déjà assez occupés à étudier, à faire de la recherche et à travailler, sans avoir à être mobilisés de force sur des questions politiques et sociales. En fait, le public sera mieux servi si les critères d’évaluation se concentrent sur les normes internes de l’activité scientifique (validité des connaissances, faisabilité du projet évalué, rigueur méthodologique, expérience de recherche des candidats, apport du projet aux connaissances, etc.) au lieu de demander aux chercheurs d’expliquer pourquoi leurs objets ne répondent pas à des principes qui leur sont tout simplement étrangers.

2. Lisez « La mise au pas de la recherche » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion