La taxation fait partie de la relation amour-haine qu’ont les Québécois avec le rôle de l’État. D’un côté, on accorde de l’importance à des services publics généreux, mais on reconsidère cette importance chaque fois qu’il vient temps de payer.

La taxation affecte les comportements sur le marché du travail. Sa modulation détermine partiellement les incitations au travail. Sa modulation affecte également les inégalités. D’un côté, on incite à travailler et à produire davantage, de l’autre, on souhaite réduire les écarts de richesse. Ces deux dimensions sont généralement contradictoires, au sens où un impôt plus efficace est généralement moins redistributif (et vice versa).

Il est impossible d’exprimer quelle dimension prioriser sans exprimer une préférence politique. Les partis plus à gauche proposent un régime plus redistributif alors que ceux plus à droite favoriseront l’efficience. Victor Hugo écrivait « dis-moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es ». En fiscalité, on devrait dire « dis-moi comment tu taxes et je te dirai ce que tu préfères ».

La Coalition avenir Québec (CAQ) a proposé une baisse d’impôt substantive pendant la campagne électorale. Cette baisse est étalée sur plusieurs années et la baisse des taux proposée est uniforme.

La conséquence de cette proposition est que l’économie d’impôt sera progressivement plus importante chez les personnes à revenu élevé. En substance, cette proposition favorise l’efficience économique, au prix d’inégalités plus grandes.

Fait notable : ce parti politique a bien sûr gagné les élections.

Le plus d’impact possible

Si on prend acte des résultats électoraux et qu’on souscrit à l’idée de favoriser l’efficience par une baisse d’impôt, peut-on avoir davantage d’impact que la proposition originale ? Résumé en termes d’allocation de ressources : pour un montant donné servant à des baisses d’impôt (disons de 1 milliard), comment peut-on le « dépenser » de manière à avoir plus d’impact possible ? Cette question est au cœur de la théorie économique de la taxation.

Réponse courte : on maximise l’efficience en se concentrant sur les personnes dont les revenus déclarés sont entre 30 000 $ et 55 000 $. Trois raisons soutiennent cette plage de revenus. D’abord, l’effet d’une réduction d’impôt chez les personnes à plus faible revenu est moins important sur l’offre de travail : on dépenserait en ayant peu d’impact sur l’efficience. Ensuite, l’effet des baisses d’impôt chez les personnes à revenu élevé a trop peu d’impact sur leur bien-être : les dollars additionnels de revenus ont beaucoup moins d’impact que les premiers dollars. Finalement – et c’est l’élément le plus important –, la structure de l’ensemble des programmes de soutien au revenu, combinés aux deux régimes d’imposition, fait en sorte que la charge de l’impôt augmente le plus rapidement pour les personnes dont les revenus sont entre 30 000 $ et 55 000 $. (Dans le jargon, on dit que les taux marginaux effectifs implicites sont les plus élevés.)

C’est dans cette plage de revenu que l’impact d’une baisse d’impôt est le plus structurant en termes d’efficience, car c’est aussi dans cette plage que la charge fiscale est la plus sentie dans la décision de travailler davantage ou non.

Modifier la charge d’impôt uniquement dans cette plage de revenus demande un peu de créativité. Les taux marginaux d’imposition de Québec ne ciblent pas spécifiquement ces contribuables. L’approche la plus probante consisterait à utiliser un concept similaire au crédit d’impôt au bouclier fiscal pour limiter la progression de l’impôt spécifiquement à cette plage de revenu. Puisque la manière dont on nomme les choses importe, je suggère qu’on l’appelle le « bouclier d’efficience fiscale ». Un beau legs, pour un gouvernement !

Les résultats électoraux révèlent une préférence majoritaire pour l’efficience. La proposition ci-dessus a plus d’impact en termes d’efficience économique que la proposition électorale originale. Elle est également moins dommageable sur le plan de l’augmentation des inégalités de revenus. Certes, une augmentation de l’efficience se fait au détriment des inégalités de revenus, mais une proposition soignée quant à la manière de s’y prendre tentera également de le faire de manière que cette augmentation d’inégalités soit moins importante.

Recentrer la baisse d’impôt pour à la fois être plus efficient et moins inéquitable constitue-t-il une promesse rompue ? De toute évidence, ce n’est pas moi qui décide, mais voici mon espoir : j’espère que non.

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