En réponse à la lettre des professeurs Arnaud Bernadet, Yves Gingras, Isabelle Arseneau et Thierry Nootens, « La mise au pas de la recherche⁠1 » parue le 18 novembre

Les auteurs de la lettre « La mise au pas de la recherche⁠1 » s’opposaient aux modifications à l’évaluation des demandes de bourses d’études supérieures des Fonds de recherche du Québec (FRQ) intégrant des principes des Objectifs de développement durable (ODD) et de l’Équité, diversité et inclusion (EDI).

Ces critères seraient « introduits de force », « sur des bases strictement idéologiques, et sans véritable consultation ». Pourtant, l’objectif de cette modernisation n’est pas de dicter les intérêts de la recherche québécoise, comme il est prétendu dans le texte, mais simplement d’assurer une plus grande équité dans l’obtention des financements et de « soutenir les regroupements de recherche rapportant des actions concrètes mises en place pour favoriser l’EDI2 ».

Nous avons d’abord été étonnés de constater que leur opinion n’implique ni étudiante ni étudiant, alors qu’elle aborde des enjeux qui nous concernent directement. Sentant qu’on parlait en notre nom, nous désirons donc faire partager une position qui, bien que nous ne prétendons pas représenter l’ensemble de la population étudiante québécoise, nuance les critiques faites à l’endroit des FRQ. Par exemple, le seul argument associé au témoignage d’une étudiante concerne le besoin de travailler pour payer ses études, ce qui limite le temps qu’elle pourrait consacrer au bénévolat. Nous ne nions évidemment pas cette réalité, vécue par plusieurs d’entre nous, mais nous nous questionnons sur son lien avec la critique des auteurs.

Nous croyons plutôt que l’enjeu réel dont il est question concerne le financement public de la recherche universitaire et la situation financière précaire dans laquelle il place les étudiants chercheurs.

Cette problématique est pourtant écartée par les professeurs à l’origine du texte, qui semblent même déprécier les luttes actuelles visant à rattraper le retard qu’accusent le Québec et le Canada dans leur financement de la recherche étudiante. Effectivement, les montants des bourses dont il est question stagnent depuis 20 ans. Elles n’ont pas suivi l’augmentation du coût de la vie et accusent un manque à gagner de plus de 8500 $ annuellement, plaçant les boursiers dans un état de précarité financière, en plus de limiter les retombées de la recherche étudiante. Notre position sur la quantité et les montants des bourses n’est pas un jugement injustifié ; il s’agit en réalité d’une revendication unanime dans le milieu universitaire⁠3 et 4.

Cette exclusion des enjeux de fond se fait au profit d’une réaction vive contre la mise à jour des critères d’obtention des bourses des FRQ, qui s’inscrit pourtant dans une actualisation des pratiques de recherche en cours à l’échelle internationale. Elle est perçue comme une menace à la liberté universitaire, le texte présentant un certain nombre de sujets qui ne seraient soi-disant plus admissibles à un financement des FRQ. Pourtant, il est clair que les nouveaux critères d’attribution ne concernent pas les objets des recherches financées, comme le prétend la lettre, mais bien les pratiques de recherche, la composition des équipes qui la mènent, etc.

Cette menace proviendrait d’un amalgame entre « le principe de l’excellence scientifique, normalement défendu par les FRQ, et des enjeux de justice sociale en soi légitimes, mais résolument distincts ». Nous croyons au contraire que ces nouveaux critères mettent de l’avant des enjeux intimement liés à la liberté en recherche, qu’on se donnait toutefois le luxe d’ignorer auparavant : classisme, capacitisme, racisme, sexisme, etc. Si les auteurs les jugent arbitraires, nous répondons que les critères traditionnellement utilisés le sont tout autant, sinon davantage.

Effectivement, vu le nombre limité de bourses offertes, seules les candidatures jugées excellentes y sont admissibles. Le tout selon un système de mérite fortement dépendant des conditions socioéconomiques favorisant la réussite scolaire, qui avantage les personnes déjà privilégiées.

Finalement, nous sommes d’accord avec le fait que la charge des principes des ODD et de l’EDI ne doit pas revenir aux étudiants. Cependant, nous croyons que les nouveaux critères peuvent contribuer à étendre l’accessibilité des études supérieures à des groupes qui y sont sous-représentés (p. ex. personnes noires, autochtones, issues de la diversité sexuelle et de genre, vivant avec des handicaps, en situation de précarité financière, etc.). Évidemment, ils sont imparfaits et facilement instrumentalisés ; leur intégration demandera une période d’ajustement qui, nous l’espérons, mettra la table à une réflexion globale autour des enjeux du financement de la recherche. Nous constatons en définitive que les auteurs de la lettre ont manqué une occasion de participer pleinement à cette discussion nécessaire.

Afin que ce fardeau ne repose pas uniquement sur les étudiants, nous appelons donc les professeurs qui les encadrent à favoriser une intégration graduelle des principes des ODD et de l’EDI dans leurs pratiques communes de recherche, tout en engageant une réelle discussion sur l’état de la recherche universitaire, ses défis, et les leviers auxquels nous avons collectivement accès pour les surmonter.

1. Lisez la lettre « La mise au pas de la recherche » 2. Consultez la Stratégie en matière d’équité, de diversité et d’inclusion 3. Lisez « Études supérieures, revenus inférieurs » 4. Lisez « Bourses d’études supérieures : un manque à gagner de plus de 8500 $ »

* Cosignataires : Félix Lachapelle, maîtrise en géographie à l’UQAR ; Yan Boulet, maîtrise en géographie à l’UQAR ; Brigitte Légaré, doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAR ; Véronique Simard, maîtrise en ressources renouvelables à l’UQAC ; Jean-Gabriel Auger, maîtrise en géographie à l’UQAR ; Félix Gravel, baccalauréat en enseignement secondaire à l’UQAR ; Zoé Martineu, baccalauréat en géographie à l’UQAR ; Olivier Hérard, maîtrise en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Julie Major, maîtrise en géographie à l’UQAR ; Daniela Walch, doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAR ; Martin Laroche, doctorat en développement régional à l’UQAR ; Quentin Duboc, doctorat en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Alex Nadeau, maîtrise en développement régional et territorial à l’UQAR ; Émilie Bourassa, baccalauréat en géographie à l’UQAR ; Émile Bujold, baccalauréat en géographie à l’UQAR ; Muriel Mercier, maîtrise en gestion des personnes en milieu de travail à l’UQAR ; Lucas Deschênes, maîtrise en géographie à l’Université Laval ; Thomas Castonguay, maîtrise en développement régional et territorial à l’UQAR ; Elisabeth Sauvageau, maîtrise en travail social à l’Université Laval ; Loïc Carpentier, premier cycle à l’Université Laval ; Alexis Gagnier-Michel, maîtrise en biologie à l’UQAR ; Stéphanie Thibodeau, doctorat en éducation à l’UQAM ; Jessie-Lee Langel, DESS en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Éléonore Dansereau, maîtrise en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Marie-Pomme Presne-Poissant, maîtrise en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Timothée Maillet-Chiarodo, DESS en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Marie-Noëlle Albert, professeure en sciences de la gestion à l’UQAR ; Marie-Ève Dugas, baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale à l’UQAR ; Sébastien Landry, maîtrise en éthique à l’UQAR ; Alexandra Burgoyne, baccalauréat en travail social à l’UQAM ; Andra Florea, maîtrise en océanographie à l’ISMER-UQAR ; Matthieu Prugne, doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAR ; Charles Béland, chargé de cours en géographie à l’UQAR ; Camille Bernier, doctorat en lettres à l’UQAR ; Sarah-Maude Cossette, maîtrise en géographie à l’UQAM ; Charlotte Bellehumeur, maîtrise en géographie à l’UQAM

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