Moins d’un mois après la COP27 sur le climat à Charm el-Cheikh en Égypte s’amorce à Montréal la COP15 sur la biodiversité. Dans les prochains jours, nous aurons l’occasion d’être aux premières loges de ces négociations internationales, dont l’objectif sera de définir un cadre mondial pour la restauration de la nature à l’horizon 2030, sans compter le retard à rattraper depuis l’adoption du protocole de Nagoya en 2010, dont aucun des objectifs n’a été totalement atteint à l’échelle mondiale.

Si la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques attire davantage l’attention, cette 15e Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) s’avère tout aussi importante, d’autant qu’il est de mieux en mieux compris et établi que ces deux crises sont étroitement liées.

Bien que les liens indissociables entre la crise climatique et l’érosion de la biodiversité aient été scientifiquement démontrés, et qu’on semble désormais reconnaître l’interconnexion entre les deux d’un point de vue politique, il appert qu’elles sont la plupart du temps considérées de façon distincte, notamment au niveau économique. Il suffit de prendre en exemple le Plan pour une économie verte du gouvernement du Québec pour constater que la part investie dans la nature est bien mince — moins de 6 % du budget total prévu — alors qu’à l’échelle mondiale, près du tiers des efforts requis pour l’atténuation des changements climatiques et pour limiter la hausse globale des températures d’ici 2030 passeront par des solutions basées sur la nature.

Du côté de la crise climatique, de plus en plus de sociétés et de gouvernements s’engagent sur des objectifs de carboneutralité et déploient des mesures concrètes pour y parvenir. Marchés et taxes sur le carbone, subventions pour l’électrification des transports, mesures de décarbonation de certaines industries ; les solutions sont nombreuses et facilement mesurables lorsqu’il est question de tonnes de gaz à effet de serre (GES). Mais la situation s’avère éminemment plus complexe lorsqu’il s’agit du vivant.

En effet, la nature présente cette particularité, de par son caractère silencieux, invisible et mobile, mais aussi de par sa dimension locale, d’être plus difficile à saisir et à mesurer.

Contrairement aux cibles de réduction des GES, qui peuvent souscrire au principe d’additionnalité et être plus facilement coordonnées à l’échelle internationale, la biodiversité implique un niveau de complexité beaucoup plus élevé, et une échelle d’analyse plus fine.

Mais malgré ce constat, et devant l’ampleur de la situation, les pourcentages de protection du territoire à l’horizon 2030 et les mécanismes de compensation de perte de biodiversité ne suffiront pas à relever le défi auquel nous faisons face. La Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques au Québec en est d’ailleurs un bon exemple, quand on sait qu’à l’heure actuelle, moins de 3 % des fonds amassés depuis son entrée en vigueur en 2017 ont été dépensés pour financer des projets de restauration ou de création de milieux humides. De quoi remettre en doute l’objectif même d’« aucune perte nette » de la loi. Nous avons donc tout intérêt à définir une façon cohérente, et bien à elle, de pouvoir générer des investissements innovants dans des activités ou des actifs favorables à la biodiversité, des moyens de créer de la richesse, dans une dynamique de protection et non pas uniquement de compensation.

Biodiversité et prospérité

Il est désormais clairement établi que la biodiversité est intimement liée à notre prospérité, à tous les niveaux ; notre alimentation, notre santé, nos économies, tous les aspects de notre vie s’y rattachent et en dépendent. Mais malgré tout, l’érosion se poursuit. Dans le plus récent rapport « Espèces sauvages 2020 », dévoilé par Ottawa plus tôt cette semaine, et qui fait état de la biodiversité au Canada, on apprenait qu’une espèce sur cinq présente un risque d’extinction au Canada. De son côté, le secrétariat de la CDB soulignait que les espèces s’éteignent environ 1000 fois plus vite qu’à leur rythme naturel, en raison de l’action humaine. Alors qu’attendons-nous pour nous mobiliser ? Les gouvernements ne pourront pas à eux seuls financer les moyens pour parvenir à renverser la tendance. Les investissements requis sont trop importants — de l’ordre de plus de 700 milliards d’ici 2030 — et le rythme de destruction de la nature, trop rapide.

C’est pourquoi il est essentiel de mobiliser le secteur privé et les acteurs de la finance durable, et de mettre en place des systèmes et de créer des cadres intéressants pour valoriser la biodiversité.

À l’échelle internationale, la réflexion et la mise en œuvre sont déjà bien amorcées à plusieurs niveaux, comme en témoigne le Catalogue des solutions de financement du PNUD BIOFIN, qui présente des dizaines de mécanismes pour financer la protection de la biodiversité. En France, l’article 29 de la loi énergie-climat, qui repose à la fois sur une meilleure intégration des enjeux climatiques et de biodiversité au sein des politiques d’investissement, et sur la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la gestion des risques, constitue un exemple concret de dispositif politique visant à encadrer la mise en œuvre des moyens pour contribuer à la transition énergétique et écologique par les acteurs financiers. En Australie, on assiste à l’introduction d’une législation pour soutenir un marché de la biodiversité, où des crédits seront accordés aux projets de conservation qui peuvent prouver des améliorations mesurables de l’environnement. Peu à peu, les solutions s’imaginent et se mettent en œuvre. Mais le temps presse. L’érosion du vivant se poursuit et s’accélère.

Si les investisseurs se saisissent de cet enjeu depuis quelques années déjà, et intègrent peu à peu l’impact et la dépendance de leurs investissements aux dimensions environnementales — dont la biodiversité — investir pour la protection de la nature doit désormais devenir indispensable. Or, pour parvenir à modifier ces dynamiques économiques et faire de la biodiversité un potentiel de création de valeur, nous aurons besoin d’une volonté politique et d’un cadre financier incitatif, réglementé et volontaire, pour encourager, voire imposer de tels investissements.

Certes, plusieurs interrogations quant à la mesure et à la valorisation de ce type d’investissements demeurent, entre autres parce que les bénéfices tirés de la nature sont essentiellement collectifs et que cela représente un défi d’intégration aux modèles économiques dominants. Profitons donc de cette COP15 pour avoir une discussion franche sur l’économie de la biodiversité, et repenser collectivement nos modèles économiques pour parvenir à réellement la protéger.

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