En réponse à la lettre de Faten Kikano, « Ne m’appelez pas néo-Québécoise » ⁠1, publiée le 23 novembre

Je suis citoyen canadien par défaut, et non par choix. Le choix est celui de mes ancêtres et de monarques étrangers ayant cédé la Nouvelle-France. Antoine Pilon, parti de Bayeux, en Normandie, est venu défricher la terre, fonder une famille, sortir de la misère et cultiver son lopin de terre.

Qu’est-ce qui a poussé mon aïeul à tout quitter pour des promesses de quelques arpents de neige ? Certainement l’espoir de jours meilleurs et d’un endroit où bâtir une nouvelle vie. On peut douter que ce soit ce qui l’attendait. Nos ancêtres sont des dépossédés, des aventuriers, des désespérés, des courageux. Ils ne se sont pas déracinés pour un beau pays développé. Ils sont venus pour un beau pays à bâtir. Pour dessoucher au clair de lune, rongé par les poux, en mangeant du navet, à longueur d’hiver en attendant l’été, comme disait le Duplessis d’Arcand et Lapointe.

Rien n’est parfait. Mes ancêtres n’ont pas été accueillis à bras ouverts. Ils étaient des colons, s’installant dans la vallée du Saint-Laurent, en coexistence avec les Premières Nations.

Ils se considéraient comme français, peut-être canayens, et auraient pu être considérés comme néo-québécois, ou même proto-québécois.

Le peuple québécois est notre construction collective, historique, sociale, territoriale et culturelle. Il nous a été légué par ceux qui sont venus avant nous et nous le léguerons à ceux qui nous survivront. Il est né ici, a grandi ici, s’est forgé ici, a enduré ici. Il est le résultat de l’Histoire. Il n’est pas apparu dans le vide et il existe dans le présent. Certains des nôtres descendent de colons, d’autres sont parmi nous depuis peu, d’autres se sont joints à notre nation depuis quelques générations déjà. Tous sont québécois.

Mais comment peut-on juger le terme néo-québécois autrement qu’en tant qu’accueil dans notre grande famille ? Qu’y a-t-il d’insultant, de méprisant, de réducteur, d’énoncer que ce qui est, est ? Le terme est suranné – il était la norme vers 1970 –, mais comment devons-nous décrire nos nouveaux concitoyens ? Seulement québécois ? Certes, mais le préfixe « néo » est juste. Vous pouvez ne pas l’aimer, je le considère approprié puisque calqué sur la réalité.

Entre archéo-québécois, méso-québécois et néo-québécois, notre appartenance à notre peuple diffère possiblement dans le temps, notre contribution au présent reste la même et au futur ne dépend que de nous.

Opinions divergentes

Vivre des désaccords politiques ne devrait pas être la source de rupture entre un peuple et une de ses membres. Il est inévitable en démocratie, dans un contexte de pluralisme, que des opinions divergentes soient émises entre nous. Il est tout à fait possible, et sain, d’entretenir des relations d’amitié personnelle, quoique certains sont des adversaires politiques. Nous n’avons pas besoin de voter du même bord.

J’ai des amis caquistes. Ils veulent un Québec plus conservateur, axé sur les questions identitaires et économiques, ou encore souhaitaient donner la chance à François Legault de réaliser un mandat complet sans la gestion d’une pandémie mondiale. Le Québec tel qu’il est en ce moment leur convient. Leur choix se défend, même si je ne le partage pas.

J’ai des amis solidaires. Ils sont généralement séduits par leur attitude revendicatrice, les positions sociales fortes, l’engagement clair pour l’environnement, ou font simplement un vote de contestation. Leur choix se défend, même si je ne le partage pas.

J’ai des amis libéraux. Un d’entre eux m’a confié avoir été convaincu par le projet d’hydrogène vert mis de l’avant par Dominique Anglade. Son choix se défend, même si je ne le partage pas.

Personnellement, je suis péquiste. Je veux être citoyen québécois par choix, et non citoyen canadien par défaut. Je crois en notre social-démocratie, en la nécessité de nombreuses réformes sociales, économiques et politiques. Je crois en la nécessité de protéger notre langue. Mon choix se défend, mais nombre de mes amis ne le partagent pas.

Je suis libre d’émettre mes opinions, en débattre avec mes amis, vivre des désaccords puissants, menant parfois à des conflits. J’accepte le prix de la démocratie.

Votre lettre met le doigt sur un phénomène amplifié récemment et absolument délétère pour nos institutions publiques : la radicalisation. Nos chambres d’écho amplifient les opinions concordantes, distordent les opinions discordantes. Il faut réapprendre à dialoguer et à accepter les désaccords.

Peu importe les déceptions personnelles, les points de rupture, l’appartenance au peuple québécois est soit une fatalité, soit un choix. La porte est ouverte à tous ceux qui veulent s’y joindre. Ceux qui y sont par défaut n’ont, eux, pas eu le choix. Néanmoins, appartenir au peuple québécois n’a rien d’un défaut. C’est un privilège qui mérite d’être chéri. Et à votre question, je répondrais : n’allez nulle part, vous êtes ici chez vous.

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