Au lendemain des dernières élections américaines de mi-mandat, la démocratie semblait avoir remporté la manche. Au Michigan, en Pennsylvanie, au Wisconsin et en Arizona, des candidats républicains souscrivant au « grand mensonge », cette fable selon laquelle l’élection de 2020 aurait été volée par les démocrates à Donald Trump, ont mordu la poussière, les privant de la possibilité d’interférer sur les résultats de l’élection présidentielle en 2024.

Ne pas saluer cette nouvelle réjouissante ferait de nous de tristes pisse-vinaigre. Malheureusement, tant que la polarisation politique continuera de faire des ravages, la question de la survie de la démocratie continuera de se poser aux États-Unis, quand bien même on assisterait à la fin de la carrière politique de Trump.

La polarisation, péril pour la démocratie

Avec la victoire des républicains à la Chambre des représentants, il s’agit des sixièmes midterms consécutives se concluant par un changement dans le contrôle d’au moins une chambre du Congrès. Évidemment, l’alternance est souhaitable en démocratie. Aux États-Unis toutefois, dans un contexte de bipartisme rigide et indépassable, les périodes de plus grande compétitivité électorale coïncident historiquement avec une polarisation partisane exacerbée ; quand les deux partis peuvent espérer prendre le contrôle des institutions du gouvernement fédéral à chaque élection, coopérer avec l’adversaire revient à risquer de lui donner un avantage, d’où le recours systématique aux manœuvres d’obstruction et à une rhétorique manichéenne diabolisant l’adversaire. Cette dynamique n’est pas nouvelle : dans leur livre de 2020 Four Threats : The Recurring Crises of American Democracy, les politologues Suzanne Mettler et Robert Lieberman⁠1 rappellent que la haine viscérale que se vouaient les fédéralistes et les républicains-démocrates au tournant du XIXe siècle a failli couper court à l’expérience démocratique américaine.

Mettler et Lieberman décrivent ainsi la polarisation comme une menace qui vient ponctuellement remettre en cause la pérennité de la démocratie aux États-Unis.

Comme le soulignent Steven Levitski et Daniel Ziblatt dans How Democracies Die, autre ouvrage phare de la collapsologie démocratique américaine, un pas est franchi lorsque les adversaires cessent de se voir en tant qu’opposants légitimes, mais se perçoivent mutuellement comme des ennemis devant être à tout prix écartés du pouvoir, quitte à contourner les exigences fondamentales de la démocratie. Rappelons à cet égard que de nombreux élus républicains qui siégeront au sein du 118e Congrès ont cautionné plus ou moins ouvertement l’insurrection du 6 janvier 2021, présentée par certains comme un mouvement de patriotes venus défendre (suprême ironie !) la démocratie américaine.

DeSantis n’est pas la solution

Les inquiétudes actuelles concernant l’avenir de la démocratie sont indissociables de la figure de Donald Trump, président deux fois mis en accusation par la Chambre des représentants et qui a néanmoins annoncé qu’il se lançait dans la course en vue de la présidentielle de 2024. Or, pour la première fois depuis 2016, commence à se dessiner au sein du Parti républicain la perspective d’un avenir sans Trump grâce à l’émergence du gouverneur de la Floride, Ron DeSantis. Dans les jours ayant suivi sa réélection triomphale, DeSantis a reçu quantité d’appuis haut placés au sein du Grand Old Party et de l’intelligentsia conservatrice.

PHOTO EVA MARIE UZCATEGUI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Ron DeSantis, gouverneur de la Floride

Les primaires républicaines sont loin de débuter, mais si le jeune (44 ans) gouverneur devait choisir de se lancer et obtenir la nomination de son parti, on doit dès maintenant se défaire de l’idée qu’il pourrait opérer un virage par rapport aux orientations du trumpisme. DeSantis est un ultraconservateur qui s’est distingué lors de son passage à la Chambre des représentants (2013-2019) en participant à la création du Freedom Caucus, ce groupe de purs et durs avec lequel l’actuel leader républicain Kevin McCarthy risque d’avoir maille à partir.

Le Floridien est opposé à l’avortement, aux mesures de contrôle des armes à feu et, s’il croit aux changements climatiques, il ne croit pas en la nécessité d’agir pour contrer ou atténuer cette menace (dans un État particulièrement exposé à la montée des eaux !).

En tant que gouverneur, il a autorisé un redécoupage des circonscriptions qui amenuise le poids électoral des communautés afro-américaines de son État, en plus de se servir des militants pour les droits LGBTQ+ et des migrants en situation irrégulière comme boucs émissaires, au grand plaisir de sa base électorale. Or, comme le soulignent Mettler et Lieberman, la mise à l’écart de certains groupes constitue une menace pour la pérennité de la démocratie américaine au même titre que la polarisation.

On peut donc douter qu’une candidature du gouverneur de la Floride en 2024 soit une solution à la crise démocratique actuelle. Loin d’être un modéré, DeSantis est un politicien qui cherche à donner forme au trumpisme-sans-Trump. Cela étant dit, le résultat des élections du 8 novembre dernier nous montre que l’électorat américain a actuellement peu d’appétit pour ce genre de programme.

1. Robert C. Lieberman prononcera une conférence sur l’état de la démocratie américaine, le 2 décembre, à Montréal.

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