Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que les cibles d’immigration seront graduellement relevées, jusqu’à atteindre 500 000 immigrants en 2025. Afin de conserver son poids démographique au sein du Canada, le Québec devrait viser 100 000 immigrants et plus, annuellement. François Legault, arguant la capacité d’intégration du Québec, au premier chef en matière de défense du français, fixe plutôt la limite à ne pas dépasser à 50 000 immigrants par année... ajoutant quelques jours plus tard que s’il devait s’agir d’immigrants maîtrisant déjà le français, il pourrait envisager de hausser ce chiffre.

Certains vont plus loin. Un regroupement de gens d’affaires et d’ex-politiciens de Toronto (principalement) réunis au sein de Century Initiative / Initiative du siècle1 s’active à promouvoir une cible pouvant atteindre un million d’immigrants par année. Le but serait que le Canada atteigne une population de 100 millions d’habitants en 2100. Dans ce contexte, Toronto serait destiné à accueillir 33,5 millions d’habitants, Montréal, 12,2 millions.

Savoir d’où l’on part

Le petit tableau ci-contre présente les prévisions démographiques paraissant les plus probables suivant les tendances récentes. Il n’est pas sans intérêt de souligner qu’entre 2020 et 2100, selon Initiative du siècle, presque 100 % de la croissance démographique prévue pour le Canada et le Québec proviendra de toute façon de l’immigration internationale.

C’est à la lumière de ces chiffres qu’il faut évaluer la proposition de hausser la population canadienne à 100 millions.

L’argument de la puissance

Le principal argument de Century Initiative est qu’à 100 millions d’habitants, le Canada pourrait se mesurer aux « puissances » du monde.

Le substantif « puissance » serait à la fois défini par la démographie et l’économie : plus un pays est populeux, plus il serait puissant économiquement, ce qui entraînerait une hausse du niveau de vie de ses habitants. Cette équation est-elle recevable ?

Malgré leur faible population, la Suisse, le Danemark et la Norvège jouissent de niveaux de vie parmi les plus élevés de la planète. Par ailleurs, l’ONU prévoit que la Chine perdra 400 millions d’habitants d’ici 2100 (- 28 %) et le Japon, 44 millions (- 34 %). Doit-on en déduire que le niveau de vie des habitants de ces pays est appelé à s’effondrer ? A contrario et enfin, cette même ONU, toujours sur horizon 2100, annonce pour la République du Congo une progression de 90 à 379 millions du nombre de ses habitants (+ 321 %), de 206 à 794 millions au Nigeria (+ 285 %) : il faut ne rien connaître à ces pays pour estimer que leur situation actuelle est enviable et que leur avenir s’annonce radieux.

À mon sens, cet argument de la puissance est une ineptie.

D’où proviendraient tous ces Québécois supplémentaires ?

Pour conserver son poids démographique dans un Canada à 100 millions d’habitants, le Québec devrait viser entre 20 et 25 millions d’habitants en 2100. La conservation de sa personnalité distinctive exigerait de favoriser une immigration en provenance de pays francophones. À cet égard, considérons dans un premier temps le cas de l’Europe.

Jusqu’aux années 1970, ce continent a déversé son trop-plein démographique sur l’Amérique du Nord. Il y a toutefois peu à en espérer dans l’avenir. Cela vaut particulièrement pour la France, la Belgique et la Suisse, seuls pays européens théoriquement en mesure de fournir une immigration de langue française. Si ce n’était des taux de natalité de leurs populations historiques, si faibles que la maigre croissance démographique qu’ils connaîtront d’ici 2100 reposera sur l’immigration. Bref, ils se retrouvent tous trois dans une situation similaire à la nôtre.

Force est de constater, comme le démontre le tableau qui suit, que le continent le mieux à même de fournir de forts contingents démographiques d’ici 2100 est l’Afrique. Incluant, nous concernant, de forts contingents maîtrisant la langue française.

L’enjeu pour le Québec

Le Canada est indéniablement une destination de prédilection aux yeux des immigrants en provenance d’Europe de l’Est, d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. Ottawa choisirait-il de poursuivre dans la voie du multiculturalisme, poussée à son extrême par l’Initiative du siècle, voire encore plus loin, qu’il n’aurait aucune difficulté à convaincre autant de personnes que souhaité de venir y construire leur avenir.

Au Québec, la question se pose autrement. Nous avons fait le choix de l’interculturalisme, reposant sur notre capacité à intégrer les nouveaux venus afin de conserver les caractéristiques sociétales qui nous sont les plus chères, au premier rang desquelles le fait français.

Compte tenu, d’une part, du faible taux de natalité de la population historique du Québec2, d’autre part de la disparition programmée d’ici quelques décennies de sa cohorte la plus populeuse, celle des baby-boomers, ladite population historique comptera autour de 4 millions d’individus en l’an 2100. C’est dire que dans quelque cas de figure que ce soit, l’avenir démographique du Québec repose sur l’immigration.

Autour de 10 millions d’habitants sur horizon 2100, il sera certes difficile mais tout de même possible de conserver notre modèle de société prenant appui sur le fait français.

Quelque part entre 20 et 25 millions, que l’on en fasse tout de suite notre deuil :

– soit le Québec sera alors, comme le reste du Canada, devenu une société multiculturelle dont la langue commune sera l’anglais ;

– soit encore le français continuera d’y être la langue commune, mais le Québec sera en quelque sorte devenu une extension de l’Afrique.

1 Document, For a bigger, bolder Canada, 85 pages, offert sur le site internet de cet organisme

Consultez le site de Century Initiative / Initiative du siècle

2. L’indice synthétique de fécondité (ISF) y est de 1,58 (ISQ, 2021), déjà loin des 2,10 requis pour maintenir la taille de la population. Ajoutons que l’ISF des populations historiques, autant francophones qu’anglophones, est nettement en deçà de ce chiffre, puisque les naissances d’une mère née à l’étranger pèsent 26,6 % du total (ISQ, 2019), un taux nettement supérieur aux 14,8 % que représentent les immigrants et non-résidents dans la population du Québec (Statistique Canada, recensement 2016).

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