C’est motivés par nos engagements militants pour la langue française et pour la Francophonie que nous nous exprimons aujourd’hui.

Les 19 et 20 novembre, le premier ministre François Legault se rendra en Tunisie (pays de Habib Bourguiba, un des quatre Pères fondateurs en 1970 de l’Organisation internationale de la francophonie [OIF] actuelle) avec sa nouvelle ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Martine Biron. Nous voulons saisir l’occasion de ce sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie, qui ne s’est pas réuni depuis quatre ans, pour les exhorter tous les deux non seulement à mettre en valeur l’apport significatif du Québec au développement de cet espace, mais aussi à assumer un leadership pour assurer la pérennité de la langue française au Québec et dans le monde. Car, dans notre esprit, les deux sont reliés.

C’est par son imagination et sa créativité que le Québec bouscule et réinvente depuis toujours la Francophonie comme membre à part entière de l’OIF.

C’était le sens de notre combat pour la diversité culturelle qui a abouti, notamment grâce à la Francophonie, à l’adoption en 2005 d’une Convention à l’UNESCO. Aujourd’hui, c’est celui tout aussi essentiel du défi numérique, de la production et de l’accès aux contenus francophones qui sera à l’ordre du jour de la rencontre de Djerba.

Enjeu existentiel, car le combat aujourd’hui pour la diversité linguistique est la suite logique de celui que nous avons mené pour la diversité culturelle.

La force des alliances sera encore une fois essentielle, avec les hispanophones, les arabophones, les créolophones et les lusophones, mais aussi avec les grandes langues africaines partenaires présentes au sein des États francophones, que l’on pense au swahili (150 millions de locuteurs) ou à l’haoussa (80 millions). Sans ces alliances, la langue française et ses grandes langues partenaires présentes dans l’internet continueront d’être marginalisées dans un univers moins diversifié qu’il n’y paraît.

Le Québec a été pionnier, et la francophonie précurseure, en réunissant à Montréal, en mai 1997, la première conférence des ministres chargés des « inforoutes » et en créant le premier fonds de soutien à la production en français de contenus en ligne !

Le succès de la bataille à l’UNESCO, contre la marchandisation de la culture et en faveur de l’exception culturelle dans les accords de libre-échange, n’aura cependant pas permis aux francophones d’inventer, de créer l’équivalent des plateformes mondiales devenues quasi hégémoniques (Facebook, Netflix, Spotify, etc.).

Le défi actuel des contenus et de leur découvrabilité sur ces plateformes, le rôle souvent pervers des algorithmes qui privilégient naturellement l’espace de création anglophone, autant de sujets qui méritent davantage que des résolutions.

Seules des actions énergiques de la part de la Francophonie réussiront à faire entendre raison à ces apprentis-maîtres du monde numérique qui se substituent aux États et aux gouvernements.

Quels moyens prendre pour avoir un libre accès en français aux contenus culturels, éducatifs et scientifiques ? TV5MondePlus, créé il y a quelques années, est un bel exemple de la voie à suivre. Pourquoi ne pas convaincre les pays francophones lors du Sommet d’adopter les prescriptions concrètes recommandées à la fois par le groupe de travail franco-québécois et celui de l’UQAM1 ? Pourquoi ne pas retenir la proposition émise lors d’un colloque tenu au Sénat à Paris le 3 octobre dernier auquel participaient de nombreux Québécois, intitulé « La diversité des contenus culturels d’expression autre qu’anglaise sur les plateformes numériques », d’ajouter à la Convention de l’UNESCO un volet linguistique ?

L’avenir de notre langue au XXIe siècle dépend de sa capacité à être utile et transmise dans l’espace numérique. Le développement de la Francophonie sera en partie dépendant de notre habileté à tirer parti de cet univers numérique, comme le rappelle la stratégie numérique de la Francophonie (2022-2026), à laquelle le Québec a grandement contribué2.

Sans soutien à la création, à la promotion, à la circulation des créateurs, des artistes et des œuvres et surtout sans leur présence visible et rémunérée à leur juste valeur sur ces plateformes, la francophonie s’étiolera et le français ainsi que les langues partenaires aussi. Déjà plusieurs nous alertent dont Pierre Lapointe et Richard Séguin.

Pour inspirer notre premier ministre, partageons en conclusion cette vision, toujours d’actualité, qui habitait René Lévesque concernant l’avenir d’une francophonie solidaire, livrée dans un discours à Paris, en 1985 :

« Pour lutter contre l’incompréhension, pour combler les écarts vertigineux qui séparent encore les nations et des continents tout entiers, pour bannir l’incompréhension, pour accomplir en somme la “révolution” scientifique et technologique comme celle de la justice, de l’équité, nous pouvons compter les uns les autres sur un langage commun – pas seulement fait de mots mais aussi d’une manière de penser. […] Il nous faut, en tant que francophones, non seulement être capables de suivre le mouvement rapide des transformations profondes de notre univers mais savoir en faire intégralement partie, savoir créer, nous aussi, le monde nouveau qui s’installe chez nous, autour de nous. »

1. Consultez le rapport sur la découvrabilité de la francophonie 2. Consultez le rapport sur la stratégie de la Francophonie numérique Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion