Les auteurs répliquent au texte de Jocelyn Coulon, « Zelensky irrite de plus en plus les Occidentaux⁠1 », publié le 10 novembre

La semaine dernière, un texte publié dans ces pages a soulevé de sérieux doutes quant à l’avenir du soutien occidental vis-à-vis de l’Ukraine. Selon Jocelyn Coulon, chercheur indépendant, le consensus occidental favorable à l’Ukraine qui a jusqu’à présent prévalu serait effectivement en train de s’étioler à mesure que l’Europe et les États-Unis réalisent l’ampleur du fardeau politique et économique imposé par la poursuite des combats.

L’auteur est particulièrement critique du président Volodymyr Zelensky, dont l’approche « absolutiste » consistant à défendre le territoire ukrainien coûte que coûte constituerait une preuve que les émotions priment sur la raison à Kyiv. « Grisé par quelques succès militaires », Zelensky aurait en effet choisi d’entraîner son pays dans une lutte à n’en plus finir au lieu de considérer un dialogue avec l’envahisseur russe. Devant l’inévitable, l’Ukraine n’aurait aujourd’hui plus d’autre choix que de « prendre une décision difficile ».

Cette décision difficile suggérée par l’auteur n’est jamais formellement définie.

On parvient toutefois sans peine à lire entre les lignes : l’Ukraine devrait négocier avec la Russie, c’est-à-dire concéder une partie des territoires qui lui ont été volés depuis 2014.

L’argument s’appuie cependant sur plusieurs prémisses douteuses. D’une part, qu’une concession ukrainienne minimiserait l’ampleur des destructions, et d’autre part, que ces concessions territoriales rapprocheraient le conflit de son dénouement, ce qui profiterait in fine à l’Occident. Nous pensons qu’il s’agit d’un mirage.

Le coût d’une défaite ukrainienne

Accepter certaines des demandes de la Russie en lui cédant une partie du territoire ukrainien ne garantirait en rien un retour à la paix ni une amélioration du sort des civils ukrainiens. À ce stade, il n’y a aucune raison de croire que la Russie respecterait un accord signé avec l’Ukraine et ne profiterait pas d’un armistice pour reconstruire ses forces et tenter un nouvel assaut sur la capitale. L’occupation de la Crimée n’a effectivement pas empêché la Russie d’envahir l’Ukraine en février dernier et il est rapidement devenu clair que le processus de négociations préalablement lancé n’a servi qu’à dissimuler les préparatifs militaires russes.

Ces concessions territoriales placeraient également sous contrôle russe des milliers de civils ukrainiens, les rendant ainsi vulnérables aux exactions et crimes contre les droits de la personne dont la Russie a fait preuve lors des derniers mois. Les bombardements indiscriminés, la surenchère nucléaire et la destruction des installations énergétiques démontrent que la position actuelle de la Russie laisse très peu de place à l’ouverture d’un dialogue.

Ce sont au contraire les exigences de Vladimir Poutine qui sont « difficilement raisonnables ».

L’objectif du Kremlin dépasse en effet l’invasion de l’Ukraine : Vladimir Poutine souhaite, d’une part, renouer avec le statut de grande puissance de la Russie et, d’autre part, contester l’ordre international libéral qui domine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Des négociations hâtives et défavorables à l’Ukraine auraient ainsi des conséquences majeures sur l’avenir des relations internationales et les normes qui les régissent.

Enfin, les chancelleries occidentales ont très clairement réitéré leur soutien à l’Ukraine lors du dernier Sommet du G7. Les dirigeants occidentaux semblent ainsi comprendre que c’est en bonne partie l’absence de réaction ferme à l’annexion illégale de la Crimée qui a conduit Moscou à envisager une invasion complète de l’Ukraine et qu’il ne faut répéter l’erreur une seconde fois.

Le questionnement qui se pose plutôt concerne le moment le plus opportun pour tenter de négocier la fin de la guerre, soit le moment où l’Ukraine sera dans la position la plus avantageuse pour imposer ses propres termes. En tout état de cause, la décision difficile concernant la paix et l’avenir du pays devra respecter la volonté du peuple ukrainien qui continuera de s’exprimer, notamment, par la voix de son président.

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