Le thème de l’immigration a agité la dernière campagne électorale québécoise. Le temps est maintenant à l’action et la Coalition avenir Québec (CAQ) est attendue au tournant. Si le Québec a souvent été présenté comme un modèle ou une exception dans sa gestion de l’immigration, à l’abri de tendances restrictives et de controverses qui frappent de plein fouet les sociétés en Europe ou aux États-Unis notamment, il est tout de même rattrapé par la réalité et certains démons. Le nouveau gouvernement devra naviguer dans des eaux qui s’annoncent tumultueuses sur plusieurs fronts.

Gérer l’immigration temporaire

Au-delà des cibles de l’immigration permanente, l’explosion du nombre d’immigrants temporaires au Québec (étudiants internationaux, travailleurs étrangers temporaires et personnes issues du programme de mobilité internationale) est une lame de fond face à laquelle la CAQ devra se positionner. Selon un rapport de l’Institut du Québec⁠1, alors que le solde des immigrants non permanents composait en moyenne 9 % du solde des immigrants internationaux au Québec ente 2012 et 2016, ce pourcentage a grimpé à 64 % en 2019.

Si, à première vue, ce flux peut être envisagé comme une solution d’appoint, les chercheurs en immigration alertent sur les risques et conséquences de cette évolution. Le statut des immigrants temporaires est précaire en raison, par exemple, de permis de travail fermés liés à un employeur, d’un système complexe qui mène à l’enchaînement des statuts temporaires et des incertitudes sur les possibilités de s’établir au Québec sur le plus long terme.

Passés à la loupe, ces canaux d’immigration comportent des zones d’ombre, telles que l’évaluation statistique précise du nombre de résidents non permanents au Québec⁠2 ou l’incidence de ce phénomène sur la langue, l’insertion dans la société, les écarts de salaire, etc. Un système à deux étapes se développe de plus en plus : obtenir le statut de résident permanent après avoir été d’abord temporaire. Cela change en profondeur le régime d’immigration québécois et complexifie les trajectoires d’immigration. Le gouvernement ne pourra pas ignorer cette réalité.

Négocier avec Ottawa

La CAQ devra aussi décider jusqu’à quel point elle veut être à la barre. Même si le Québec possède des pouvoirs étendus dans la sélection des immigrants et gère entièrement les services d’accueil en vertu de l’accord Canada-Québec de 1991, la CAQ a plusieurs fois appelé à la réouverture de cette entente afin d’obtenir plus de pouvoirs, notamment en matière de regroupement familial.

Or, il y a d’autres dossiers liés à l’immigration sur lesquels le gouvernement devra négocier avec Ottawa. Par exemple, en ce qui concerne l’immigration temporaire qui explose, le Québec n’a que partiellement son mot à dire sur ces flux ; il dépend grandement d’Ottawa.

Aussi, les délais de traitement pour immigrer au Québec se sont considérablement allongés. Québec et Ottawa se renvoient la balle sur cet enjeu qui a un impact majeur sur l’efficacité et la confiance dans le système.

Autre dossier sensible, qui a déjà fait l’objet d’un bras de fer entre Québec et Ottawa : les arrivées irrégulières au chemin Roxham et l’accueil des demandeurs d’asile. Si la CAQ est sérieuse par rapport à ses demandes en immigration, elle va devoir entrer dans un rapport de forces avec le gouvernement fédéral.

Donner des raisons de choisir le Québec

Si les actes valent plus que les discours, certaines paroles laissent néanmoins des traces. Certains propos sur les liens entre immigration et insécurité ou son aspect « suicidaire » tenus lors de la campagne ont suscité la déception et même la colère parmi les immigrants, quels que soient leur statut ou même le nombre d’années passées au Québec. En dehors du Québec ou même à l’étranger, le positionnement de la CAQ sur cet enjeu et certains paradoxes de son action⁠3 sont souvent mal perçus ou incompris.

Les réseaux sociaux du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration qui s’adressent aux candidats à l’étranger s’intitulent : « Choisir le Québec ». Si le Québec sélectionne ses immigrants, ceux-ci choisissent aussi d’y venir ou d’y rester pour ses opportunités, son projet de société, sa langue ou la place qu’il donne à celles et ceux qui décident de le rejoindre. Or, en plus de la concurrence globale qui existe entre les sociétés, les autres provinces canadiennes sont de plus en plus engagées dans une course pour les talents et mettent en place des programmes d’immigration attrayants et accélérés. Le Québec sera donc confronté à des enjeux d’attraction ou de rétention.

À l’aube d’un deuxième mandat, la CAQ devra rassembler sur cette thématique et (re)gagner la confiance des citoyens et des candidats à l’immigration.

⁠1 Consultez le rapport de l’Institut du Québec ⁠2 Lisez le texte de Radio-Canada : « Québec ignore le nombre réel d’immigrants temporaires sur son territoire » ⁠3 Lisez le texte d’Options politiques : « Immigration : au-delà des seuils et des controverses » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion