Dans une grande entrevue publiée dans la section Affaires de La Presse, Serge Goulet, PDG de Devimco, affirme que ses projets immobiliers vont répondre à la crise du logement, réduire l’étalement urbain et l’impact sur les changements climatiques. Nombreuses sont pourtant les voix qui affirment que ce mode de développement — avec l’exemple patent de Griffintown — est en grande partie responsable de la crise du logement, de l’embourgeoisement et de l’exode des familles et populations moins nanties hors des quartiers centraux de la ville. Densifier, oui, mais jusqu’où et pour qui ?

À Griffintown, mieux vaut être fortuné et sans enfants

Pour prétendre répondre à la crise du logement par la construction d’unités résidentielles, encore faut-il que celles-ci soient réellement habitées par des ménages montréalais. Or, une étude de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) démontre qu’environ le tiers des logements de Griffintown est utilisé à des fins spéculatives, sur le marché de la location à court terme ou comme résidence secondaire1. Elle révèle également que, durant la pandémie, c’est à Griffintown qu’on a observé la plus forte progression de l’exode vers la banlieue. Difficile d’habiter en famille un quartier en déficit d’équipements collectifs dans un condo exigu…

À Montréal, ce sont les logements abordables et de taille adéquate qui font cruellement défaut. Le dernier épisode du 1er juillet est éclairant : alors que le taux d’inoccupation des logements familiaux abordables était autour de 2 %, celui des logements de luxe dépassait les 7 %.

Le faible pourcentage de logements sociaux inclus dans les projets immobiliers ne répondra pas à la demande. Et après s’être farouchement opposés au Règlement pour une métropole mixte de la Ville de Montréal, la quasi-totalité des promoteurs ont choisi, depuis son entrée en vigueur, de payer une compensation en argent plutôt que de construire du logement social sur site2.

Nos fonds de retraite dans des projets sans acceptabilité sociale

Au bassin Peel, Devimco se targue de compter sur ses partenaires financiers, dont le Fonds immobilier de solidarité FTQ, le Fonds de retraite de la STM et Fondaction (CSN). Une recherche sur la financiarisation du logement par le Collectif de Recherche et d’Action sur l’Habitat met en lumière le rôle croissant de ces fonds d’investissement dans la construction de tours résidentielles luxueuses3. Pour atteindre des cibles élevées de rendement, les promoteurs privilégient les micro-condos et les communautés verticales au détriment de logements correspondant aux réels besoins et d’un aménagement urbain convivial. Avec en prime une pression à la hausse sur les loyers environnants et un embourgeoisement accéléré.

Des fonds de retraite, en premier lieu les fonds syndicaux, ont pourtant entamé une réflexion sur l’investissement éthique et les changements climatiques. À quand une réflexion en profondeur sur leur rôle dans le financement de logements que leurs membres et leurs familles ne pourront jamais se payer ?

De l’urgence d’agir pour contourner les processus démocratiques

Avant même l’adoption d’une planification municipale, Devimco et un consortium de promoteurs occupent l’espace médiatique avec leur « Vision Bridge-Bonaventure », pressant la Ville d’accepter une densité maximum sur les terrains publics et privés du secteur.

Voilà une illustration parfaite de la « stratégie du choc » et de la mainmise des promoteurs sur le développement urbain4. Ils utilisent la rhétorique de la crise et de l’urgence pour accélérer le développement et obtenir des autorisations de zonage. Refusons de leur donner carte blanche, malgré leur discours d’écoblanchiment et de dialogue avec les communautés ! On ne réglera pas la crise climatique avec des tours de béton dans des quartiers ultradensifiés et inabordables.

La Ville de Montréal doit choisir son camp. Pour résorber la crise, elle ne doit pas faciliter, mais au contraire, freiner les ardeurs des promoteurs immobiliers, impliquer les populations dans le développement et concevoir celui-ci autrement que par la lorgnette du profit. Les groupes communautaires et citoyen(ne)s de Pointe-Saint-Charles, réunis autour de la concertation Action-Gardien, seront au rendez-vous pour mettre du sable dans l’engrenage de ces machines à développer trop bien huilées.

1. Consultez l’étude de la SCHL 2. Consultez les retombées du nouveau Règlement pour une métropole mixte de la Ville de Montréal 3. Consultez la recherche du Collectif de Recherche et d’Action sur l’Habitat 4. Lisez « Alerte rouge : stratégie du choc en vue » 5. Lisez l’entrevue avec Serge Goulet, PDG de Devimco Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion