Les Britanniques possèdent un sens de l’autodérision inégalé. Mais ils ont épuisé les formules humoristiques pour décrire le drame qui les afflige depuis deux mois. L’économie s’écroule, l’inflation galope et les odeurs d’une récession importante gagnent le pays.

L’économie vacillait avant l’arrivée au pouvoir de Liz Truss le 6 septembre dernier, mais le budget d’appoint que son gouvernement a proposé aux Britanniques a provoqué une telle crise économique que le Fonds monétaire international a cru bon de rappeler certains éléments de gestion fiscale à Mme Truss.

Les pièces maîtresses de ce budget — des emprunts significatifs pour subventionner la hausse des coûts de l’énergie juxtaposés à de surprenantes réductions d’impôt – ont sombré au premier contact avec la réalité. Il a provoqué l’ire des marchés financiers pour ensuite gagner celle des Britanniques qui ont plutôt mal réagi à une chute de la devise et une hausse marquée des taux d’intérêt. Ce budget avait été conçu sans considération aucune pour le contexte économique du moment.

J’exagère à peine en affirmant que le fait saillant du passage de Liz Truss au 10 Downing Street aura été d’assister aux obsèques de la reine Élisabeth II.

Elle s’est retrouvée aux premières loges durant la semaine de deuil national et aura profité de la présence de plusieurs chefs d’État venus à Londres pour les funérailles pour faire d’intéressantes rencontres. Mme Truss est d’ailleurs l’une des dernières personnes à avoir rencontré la reine avant sa mort. Je n’appelle pas Scotland Yard à élucider un homicide involontaire, mais on pourrait spéculer que la reine avait pressenti la débâcle et préféré aller rejoindre le duc d’Édimbourg.

Mme Truss avait succédé à Boris Johnson, un politicien habile et éloquent, qui avait mené les conservateurs à une victoire écrasante en 2019. Toutefois, son rapport approximatif avec la vérité et ses mauvaises fréquentations lui auront coûté le poste de premier ministre l’été dernier et provoqué une course à la direction du Parti conservateur britannique. Mme Truss a coiffé au fil d’arrivée l’ex-ministre des Finances Rishi Sunak, que plusieurs considéraient comme beaucoup plus compétent. Malgré un appui majoritaire des députés conservateurs, les membres du parti ont scellé le sort de M. Sunak.

Durant cette campagne, Mme Truss a dépeint M. Sunak comme une élite déconnectée de la réalité des Britanniques. M. Sunak, diplômé d’Oxford et de Stanford, avait argué en faveur de mesures fiscales prudentes et décrit le plan économique de Mme Truss comme fantaisiste.

M. Sunak avait aussi le défaut — aux yeux de sa concurrente — d’avoir épousé la fille d’un milliardaire indien, ce qui le rendait inapte à comprendre les défis du « vrai monde ».

Faut-il rappeler que le budget de Mme Truss avait été préparé sans la collaboration d’un groupe de hauts fonctionnaires du Trésor britannique toujours consulté en semblables matières ? Probablement avaient-ils le même défaut que M. Sunak — que pouvaient-ils vraiment connaître des préoccupations des Britanniques ?

Les dogmes avant le pragmatisme. L’aveuglement volontaire au mépris de conséquences incalculables pour une économie. Le dénigrement de certaines des institutions qui soutiennent une démocratie à des fins purement politiques. Ces thèmes ont accompagné la campagne de Mme Truss et les quelque 45 jours qu’aura duré son règne. Et certains diront qu’ils ont aussi, à l’occasion, fait partie de l’arsenal de Pierre Poilievre.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

Durant la campagne au leadership du Parti conservateur du Canada plus tôt cette année, M. Poilievre a fait des déclarations étonnantes sur la devise, l’inflation et le rôle de la Banque du Canada. Son pas de deux avec la cryptomonnaie rapprochait le Canada de la République centrafricaine et du Salvador, les seuls autres pays à l’avoir adoptée comme devise (déjà membre du G7, serions-nous aussi membre du G3 ?). Ses attaques ciblées sur le gouverneur de la Banque centrale laissaient craindre le pire si jamais la Cour suprême rendait un jugement avec lequel il aurait un désaccord.

Ses déclarations parfois incendiaires contre les élites canadiennes abreuvaient un auditoire plus à l’aise avec des raccourcis pour expliquer des phénomènes complexes.

M. Poilievre a remporté une victoire éclatante contre Jean Charest pour devenir chef du Parti conservateur. Il serait faux de prétendre qu’il ne plaisait qu’à des gens qui détestent les « élites ». Je suis aussi d’avis qu’il a d’excellentes chances de remporter les prochaines élections. Les libéraux, confus et diffus, perdent sans cesse des appuis. Contrairement à ses deux prédécesseurs, M. Poilievre pourrait également faire des gains au Québec.

Mais il a toutefois un déficit de crédibilité sur le plan économique, pourtant un élément identitaire des conservateurs. Les libéraux rappelleront sans doute aux Canadiens certaines des théories économiques étranges qu’il a déjà épousées. Il aurait avantage à recruter des candidats robustes issus du milieu des affaires. Mais il pourrait aussi se faire plus rassurant en évitant d’autres effets de toge destinés à une poignée d’adeptes convaincus que tous les gouvernements et leurs institutions sont malhonnêtes ou incompétents.

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