Étant à la tête de la plus grande ligne de signalement anonyme couvrant la province de Québec excluant la métropole, je constate que nos analystes font face à des divulgations très variées : trafic humain, réseaux de drogue, proxénétisme, suspects en cavale, voies de fait armées, vols, vandalisme, etc. Nous collaborons à boucler des dossiers avec les corps policiers de la province en respectant l’anonymat de nos appelants.

Nous pouvons nous targuer d’être un baromètre des tensions sociétaires plutôt efficace. Nous voyons de façon flagrante l’explosion considérable des problèmes de santé mentale dans toutes les strates de la population. En biais, le taux de recrudescence de la criminalité armée enregistre une hausse de 22,2 % selon la Sûreté du Québec. Fallait-il vraiment une pandémie et les répercussions récurrentes de celle-ci pour comprendre l’importance de l’approche sociale greffée à la sécurité publique ?

Évidemment, la présence des forces policières traditionnelles et des escouades tactiques pour intervenir en urgence dans les situations sans précédent qui le demandent demeure vitale. Mais le spectre d’intervention des différents milieux touchés par la criminalité est en train de se transformer comme un papillon de nuit qui fait craquer sa chrysalide.

Le passage du directeur de police de l’agglomération de Longueuil M. Fady Dagher à l’émission Le monde à l’envers animée par Stéphan Bureau il y a quelques semaines a littéralement soulevé les passions. Il est un des rares acteurs à travailler différemment et à repenser le système d’intervention en matière de prévention des méfaits.

Entendons-nous, tout le monde est d’accord avec cette direction, mais les mentalités se transforment plus lentement sur le terrain, et ça commence par l’ouverture des œillères d’une population fragilisée par la méfiance et les stéréotypes.

C’est un reconditionnement majeur de l’approche policière qui tente de s’activer au présent.

En tant que citoyen(enne), connaissez-vous le réseau Intersection ? Probablement pas, pourtant il existe depuis 1993. C’est un autre exemple notoire de la méconnaissance de nos réseaux d’intervenants axés sur l’approche de police communautaire. Ce ralliement d’intervenants contribue à mettre en lumière une multitude de projets instigués par les corps policiers partout en province, dont « Café avec un policier », le projet « pilote » se déroulant sur une piste de karting pour sensibiliser la population à la dangerosité de la vitesse, ainsi que tellement d’autres initiatives inspirantes.

Dans les dernières années, la sécurité publique est allée jouer dans un gâteau comportant des pointes bien spécifiques, en rajoutant du crémage sur une génoise déjà riche en expertise souhaitant opérer dans la collaboration.

Certes, le gouvernement mise beaucoup sur la police de proximité, et avec raison. Mais il existe tout un univers d’intervenants complémentaires en amont, et ils sont solidement implantés depuis près de trois décennies !

Les organismes en travail de rue ont bénéficié d’une aide financière pour des projets subventionnés en prévention de la criminalité pour 2021 et 2022, c’est vrai. Dans les faits, cela ne constitue que 141 950 $ pour l’entièreté du territoire de la Montérégie et un maigre total de 75 000 $ pour tout le Bas-Saint-Laurent.

N’oublions pas que six mois après la date fatidique du 27 février 2020, plusieurs organismes ont tellement manqué de ressources rapidement devant l’ampleur du défi pandémique que c’est par dépit que nous avons vu s’éteindre des piliers essentiels à leurs communautés.

L’implication d’un travailleur de rue est beaucoup plus forte que de la simple intervention sociale aléatoire. Ces gens font carrément partie du quotidien des personnes qu’ils aident.

Que ce soit pour faire des transports vers des soins cliniques ou prendre deux heures pour faire ventiler une adolescente aux prises avec un proxénète. Ils sont souvent les premiers intervenants devant des demandeurs ayant des troubles psychotiques ou des convulsions durant une surdose. Ils ont dans leurs sacs à dos de la naloxone, un professionnalisme et une patience à toute épreuve. Nous avons reconnu le travail des anges en milieu hospitalier. Qu’en est-il des travailleurs de l’ombre, nos anges anonymes ?

Continuons de démontrer la variété des saveurs qui existaient déjà sous la crème fouettée additionnelle déversée par la sécurité publique.

Le Ministère a donné du financement pour des lignes de signalement confidentiel reliées aux postes de police des grandes agglomérations ainsi que l’apparition d’autres lignes confidentielles telles que AAA (Aide Abus Aînés). Bien sûr, ce sont des initiatives honorables et nécessaires. Mais pourquoi ne pas avoir accordé un budget pour la ligne provinciale de signalements complètement anonymes dont les informations privilégiées sont filtrées et redirigées par des analystes expertisés qui collaborent avec la plupart des corps policiers provinciaux depuis maintenant 25 ans ?

À trop vouloir arroser les jeunes pousses, les racines du chêne, elles, s’assèchent. Nul ne peut prédire l’avenir, mais il est maintenant temps de donner une assiette financière proportionnelle à chacun en reconnaissant la qualité de leur recette.

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