Les milieux énergétiques ont fait grand cas de la décision du 5 octobre de l’Organisation des pays producteurs de pétrole et de son allié russe (OPEP+) de baisser de deux millions de barils par jour la production mondiale dès novembre. C’est la plus importante réduction depuis deux ans.

Sans surprise, cette décision a souverainement déçu le président américain, Joe Biden, puisque des prix élevés du pétrole favorisent la Russie, grand producteur mondial, qui engrange davantage de revenus et peut ainsi mieux financer sa guerre en Ukraine. De plus, la hausse des prix de l’essence qui devrait s’ensuivre arrive à un bien mauvais moment pour le président, à la veille des élections de mi-mandat qui s’annoncent chaudement disputées.

On ne peut manquer de penser que Riyad et Moscou ont agi ainsi en toute conscience en signalant leur préférence pour une administration républicaine à Washington.

Pour l’OPEP+, cette décision de réduire l’approvisionnement dans un marché déjà serré répond à une volonté de redresser les prix du baril qui ont chuté de 120 $ en mars à 80 $ à l’automne. Face à une récession qu’elle juge fort probable, l’OPEP+ cherche à tirer profit d’une dernière occasion pour accroître ses revenus pourtant déjà exorbitants cette année.

De son côté, Washington a été contraint cette année de mettre sur le marché 180 millions de barils en puisant dans sa Strategic Petroleum Reserve, histoire d’atténuer les impacts de la hausse des prix de l’énergie. Voilà une preuve éclatante que les États-Unis ne peuvent plus compter sur Riyad comme par le passé pour gérer l’offre et la demande mondiale d’or noir.

Relation tendue avec l’Arabie saoudite

Le milieu pétrolier a bien changé ces dernières années. Grâce à la révolution des hydrocarbures de schiste au cours de la décennie 2010, les États-Unis recèlent de vastes quantités de pétrole et de gaz. Ils sont devenus des fournisseurs mondiaux de premier plan et des compétiteurs des autres grands producteurs, dont l’Arabie saoudite et la Russie.

Or, le marché américain n’est composé que d’entreprises privées. Elles répondent essentiellement à une logique de marché et non à une volonté politique comme c’est davantage le cas des sociétés pétrolières d’État formant l’OPEP+. Un président américain ne peut donc compter sur les Chevron, Exxon, ConocoPhillips et autres pour dicter le niveau de production au nom d’objectifs nationaux.

De plus, les actionnaires des entreprises productrices américaines, encore marqués par les années difficiles de la pandémie, exigent que les profits juteux de cette année leur soient versés au lieu d’être utilisés pour augmenter la production.

C’est là qu’intervient la relation privilégiée avec l’Arabie saoudite. Depuis des décennies, cet État, grâce à sa propriété des ressources pétrolières, l’abondance de ses réserves et le faible coût de sa production, agit comme une sorte de banque centrale du pétrole : toujours prête à intervenir, sous le parapluie américain, pour stabiliser le marché et limiter les hausses de prix néfastes pour l’économie et les ménages.

C’était là la raison de la visite du président Biden en Arabie saoudite l’été dernier : l’inciter à augmenter significativement sa production. Or, cette dernière a à peine répondu à l’appel, en ajoutant seulement quelques milliers de barils par jour à sa production, pour la forme.

Depuis quelque temps, la relation pourtant historiquement étroite entre Riyad et Washington subit quelques irritants.

En 2017, l’Arabie saoudite a rompu (puis rétabli en 2021) ses liens avec le Qatar, n’appréciant guère le soutien de l’État qatari à des mouvements politiques jugés antipathiques au régime saoudien. Or, le Qatar abrite la plus importante base américaine au Moyen-Orient : ses soldats veillent depuis 40 ans à protéger le transport de pétrole dans le détroit d’Ormuz.

L’administration actuelle n’apprécie pas non plus la force excessive utilisée par Riyad dans la guerre qu’elle mène depuis près de 10 ans au Yémen.

Enfin, le meurtre ignoble du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018 au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, que le CIA a attribué aux hauts dirigeants du régime, a abîmé de manière importante la confiance entre les parties.

Cet éloignement de l’Arabie saoudite vis-à-vis des États-Unis, et son rapprochement avec la Russie, ne sont pas de bon augure pour les prix du baril. Si Riyad penche maintenant davantage vers la Russie pour se concerter en matière de gestion de l’offre, les États-Unis perdent un allié de taille dans ses efforts visant à atténuer les effets délétères de la géopolitique du pétrole sur son économie et ses citoyens.

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