Lors de son discours de victoire lundi soir, François Legault a fait référence à cette fameuse phrase de René Lévesque qui avait dit que les Québécois formaient peut-être quelque chose comme un grand peuple. Seulement, Legault, sans surprise, a ôté à la phrase de Lévesque son hésitation, en affirmant avec une assurance bien peu lévesquienne que nous étions un grand peuple, point barre.

Je réfléchis à cette phrase depuis, avec en sourdine les remises en question qui fusent de toutes parts (sauf de la part du gouvernement…) quant au mode de scrutin actuel, qui brouille la volonté de ce même peuple. Ne faudrait-il pas avoir le courage de laisser de côté les phrases préfabriquées sur le supposé non-intérêt de l’électorat sur le sujet de la réforme électorale, si on veut se prétendre grands ?

Je me demande aussi si un grand peuple a besoin de dire avec insistance qu’il est un grand peuple. Puisqu’on aime les analogies de hockey chez ce peuple : est-ce que Guy Lafleur avait besoin de dire qu’il était un grand joueur de hockey ? Je pense aux Romains, aux Mongols, aux Haïtiens, tous de grands peuples, en me demandant : est-ce qu’un grand peuple a besoin de se convaincre qu’il l’est ? La force de la grandeur n’est-elle pas dans l’action plutôt que dans les paroles pompeuses de victoire ?

C’est ce qu’avait compris René Lévesque : son hésitation marque la modestie philosophique essentielle à tout peuple d’envergure (je pense au stoïcisme romain, par exemple), loin du pétage de bretelles et des casquettes rouges criardes de la grandeur.

Les grands hommes et les grandes femmes, les grands êtres non binaires et les grandes communautés de partout, les géants de l’histoire de toutes les couleurs et de toutes les idéologies sont grands dans leurs gestes, pas dans leur simple perpétuation fière d’elle-même dans l’histoire.

D’aucuns nous l’ont rappelé lundi soir : le premier mandat caquiste en avait trop plein les bras avec la pandémie, sous-traitée par ailleurs, pour accomplir de bien grandes choses. Il y a essentiellement eu deux lois controversées sur l’identité qui ont surtout assuré la réélection du parti, et peu d’autres choses tangibles. Est-ce que la CAQ est un grand parti, ou est-ce qu’on s’en souviendra comme de ce qui a mené à autre chose ? Tout reste encore à dessiner. Rien de grand ne s’est produit au Québec dans les quatre dernières années, le chantier est devant.

Chose certaine, un grand peuple ne largue pas l’urbanité cosmopolite de sa définition de lui-même.

Un grand peuple ne divise pas ses citoyens sur la base de quoi que ce soit, surtout pas leur ethnicité ou leur statut d’immigrant.

Un grand peuple a assez confiance en qui il est pour ne pas avoir à se définir à gros traits sur la place publique à tous les coins de rue.

Que ce deuxième mandat de la CAQ soit un mandat de la confiance, de l’oubli des prochaines élections, du souci de construire quelque chose de grand pour l’avenir, qui est quand même bien au milieu même du nom du parti au pouvoir.

Place à l’avenir, place à la création, place à la diversité québécoise. Je paraphraserai pour ma part Paul-Émile Borduas, qui dénonçait en 1948 dans Refus global le fait d’appartenir au contraire à un petit peuple qui fuyait le monde des idées et ses risques de nouveauté pour se contenter de se reproduire dans la continuité. Il dénonçait aussi, tiens donc, que son peuple se définisse constamment dans son rapport aux États-Unis et à la France, au détriment des créations authentiques de ses propres classes opprimées. Le soir des élections, j’ai relu Refus global, et je me suis senti chez moi.

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