Les auteurs proposent que la liberté universitaire (ou liberté académique) et la lutte contre le racisme fassent l’objet de politiques distinctes à l’Université d’Ottawa.

L’Université d’Ottawa a dévoilé la semaine dernière son plan détaillé pour mettre en œuvre les recommandations formulées par le comité présidé par le juge Bastarache. Ce comité avait été créé dans la foulée de deux controverses fortement médiatisées il y a deux ans : les sanctions prises par l’université à l’endroit d’une de ses professeures, pour l’usage d’un mot jugé inapproprié en classe, et les propos incendiaires tenus par un autre professeur à l’égard des francophones.

Le rapport Bastarache contenait sept recommandations qui invitaient notamment l’établissement à définir les concepts de liberté académique et de liberté d’expression ainsi que ses propres droits et obligations les concernant, à réaffirmer la nécessité de protéger la liberté académique, en plus de créer un comité pour recevoir les plaintes et préoccupations des professeurs et à établir un plan d’action pour combattre le racisme et la discrimination qui ne mène pas à l’autocensure des professeurs.

Depuis quelques années, l’Université d’Ottawa s’est engagée publiquement à lutter contre le racisme systémique dans le monde universitaire tout en réaffirmant son engagement envers la liberté académique. Les recommandations du comité Bastarache lui offraient donc des pistes à explorer pour atteindre ces deux objectifs. Cependant, la tâche n’est pas facile.

Comme plusieurs l’ont fait valoir, l’atteinte de ces deux objectifs peut rapidement mener à une lutte qui les oppose et non à une harmonieuse cohabitation.

Comment empêcher, par exemple, l’usage de mots jugés offensants par certains tout en prônant la liberté d’utiliser justement ces mots dans un contexte universitaire ?

Le rapport Bastarache invitait l’université à réfléchir à ces enjeux et à proposer des solutions, sans doute originales, qui pourraient à la fois protéger la liberté académique et faire la lutte au racisme et à la discrimination. Cela doit cependant se faire par des politiques distinctes, car ce sont des questions différentes. Il faut surtout éviter de subordonner l’une de ces questions à l’autre. Malheureusement, l’université a lamentablement échoué dans cet exercice. En présentant un énoncé « sur la liberté d’expression en contexte universitaire » (intitulé qui suggère que la liberté académique n’est que la liberté d’expression exercée sur les campus, ce qui est erroné), elle a en fait établi une hiérarchie entre la liberté académique et sa propre vision de la lutte antiraciste qui favorise cette dernière au détriment de la première, ce qui constitue une fausse opposition.

Cette subordination de la liberté académique se manifeste clairement dans le passage suivant de l’énoncé : « aucun mot, concept, idée, œuvre ou image ne saurait être exclus [sic] a priori dans un contexte d’enseignement et de recherche dans les limites imposées par la loi ». L’usage du terme « a priori » suggère subtilement que s’il n’y a pas de censure « a priori », il pourrait bien y avoir des conséquences « a posteriori ». En effet, cet énoncé nous dit qu’il faut poursuivre des « objectifs fondamentaux de réparation, de réconciliation, d’intégration et d’inclusion », que la mission fondamentale de l’université « consiste à créer un milieu inclusif » dans lequel il est important de tenir compte « du lieu », « du contexte », « des intervenants », « de l’auditoire » et « des rapports de pouvoir et des inégalités existantes au sein de l’Université ». Bien des professeurs saisiront le message implicite et modifieront leur comportement en conséquence. On est loin des recommandations du rapport Bastarache, notamment en ce qui concerne ses préoccupations à propos de l’autocensure des professeurs.

Comme on peut le constater, le nouvel énoncé de l’Université d’Ottawa affaiblit de manière insidieuse la liberté académique, en la subordonnant à un programme supposément « antiraciste » qui n’a pas encore fait ses preuves.

Est-ce qu’une telle situation pourrait se produire au Québec ?

La nouvelle Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire qui a été adoptée en juin dernier force toutes les universités québécoises à se doter d’une politique qui porte exclusivement sur la liberté académique. La Loi offre aussi une définition précise de la liberté académique : le « droit de toute personne d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, telle la censure institutionnelle, une activité par laquelle elle contribue à l’accomplissement de la mission d’un établissement d’enseignement » (art. 3). Chaque établissement doit aussi se doter d’un comité de surveillance et nommer un responsable qui veillera à la mise en œuvre de la politique. Enfin, le ministre de l’Enseignement supérieur a le pouvoir de modifier les politiques des établissements si elles sont jugées non conformes à la Loi. On bloque ainsi la possibilité de tenter de manipuler la liberté académique en la subordonnant à d’autres considérations comme des questions relevant de l’EDI (équité, diversité, inclusion).

En somme, l’énoncé vague et confus adopté par l’Université d’Ottawa n’aurait pas pu être adopté au Québec, qui semble avoir retenu d’autres leçons, et plus prudentes, des crises qui ont secoué notre université.

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