La semaine dernière, le ministre sortant du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale ainsi que de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, a cru bon, en plein contexte électoral, de déclarer que 80 % des personnes immigrantes ne travaillent pas, ne parlent pas français et n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise.

En plus d’être trompeuses1, les déclarations — ayant fait surface ce mercredi – du ministre Jean Boulet ont fait ombrage à une journée de commémoration à la mémoire de Joyce Echaquan, femme atikamekw, victime du racisme systémique, le 28 septembre 2020.

Ses propos s’ajoutent aussi à ceux qu’il a déjà proférés en décembre 2021, en faisant une association entre la COVID-19 et des migrants passant par le chemin Roxham en pressant Ottawa de le fermer, alors qu’aucune éclosion dans les établissements d’hébergement temporaire destinés aux demandeurs d’asile n’avait été rapportée. Il s’était excusé, à l’époque aussi, en disant ne pas se reconnaître dans son tweet.

Détresse

Bien que le patron du ministre Boulet ait annoncé le disqualifier de la fonction, le lendemain d’une victoire assurée, ce dernier François Legault a lui-même un curriculum de propos dangereux et erronés au sujet des personnes immigrantes.

Alors qu’il affirme à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain qu’il serait « suicidaire » pour le Québec français d’accueillir plus de 50 000 immigrants par an, il est temps qu’il reconnaisse que ce sont nos systèmes d’intégration qui créent la détresse psychologique culturelle du Québec, notamment ceux qui produisent l’équivalent d’une salle d’attente interminable pour des personnes immigrantes déjà présentes, nécessitant un statut donnant pleinement accès aux écoles, au travail, aux services de santé. 

Il est temps que ceux qui dirigent le Québec cessent de nous servir une culture de gaffe-excuses, sur fond de production de politiques, pratiques et processus discriminatoires : loi 96, loi 21, loi 9, appel de la décision de la Cour supérieure sur l’accès aux garderies pour les enfants des personnes demandeuses d’asile et ainsi de suite.

Nous comprenons que les gaffes du gouvernement actuel s’inscrivent dans une montée internationale de la droite, reste que l’histoire nous jugera. De plus, en suivant les recommandations de Louise Arbour, ancienne haute-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, nous devrions considérer une régularisation généralisée des personnes qui se trouvent au pays en situation d’irrégularité, en conformité avec les recommandations du Pacte mondial sur les migrations, dont le Canada a été signataire en 2018.

Les gaffes calculées, à visée électoraliste, n’aident pas à résoudre les fractures de nos systèmes de santé, d’éducation, de sécurité et d’intégration au travail. Au contraire, elles sèment la confusion et sont la trame de fond de politiques discriminatoires. Des enfants voient leurs parents être considérés soit comme suspects, soit comme des marchandises à régionaliser, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de production à profusion de permis temporaires appelant à une réflexion profonde sur la réalité économique du Québec. La régularisation sérieuse des familles déjà présentes sur le territoire fait donc écho à la campagne Un statut pour toutes et tous2 soutenue par plus de 300 organisations à travers le pays et à des solutions proposées précédemment.

Les discours ambiants sur l’immigration sont trop souvent dangereux et contribuent à la normalisation de la déshumanisation, de l’invisibilisation et de l’instrumentalisation de personnes qui ont droit à la dignité et à une réelle égalité des chances.

Nous ne voulons plus, par notre silence, qu’un gouvernement élu, selon un mode de scrutin problématique, profite du privilège de son positionnement pour proférer de fausses informations ayant une portée désastreuse.

Nous croyons qu’il est humain et responsable de reconnaître l’existence des milliers de personnes sans statut qui sont déjà présentes sur le territoire québécois, et qui, comme bien d’autres personnes immigrantes, soutiennent notre économie et notre qualité de vie.

Nous, personnes habitant le territoire du Québec et membres de la communauté artistique, croyons que si nous voulons nous considérer distincts, nous devons l’être dans notre niveau élevé d’accueil et de capacité à produire de la solidarité. 

1. Lisez l’article de Radio-Canada « Les propos de Jean Boulet sur l’immigration sont-ils exacts ? » 2. Lisez le texte du Devoir « Immigration : “un statut pour tous et toutes” »

*Cosignataires : Aïsha Vertus, musique et télé ; Alice Morel-Michaud, comédienne et actrice ; Anas Hassouna, humoriste ; Catherine Brunet, actrice et saltimbanque ; Cayo Wilner ; Coralie LaPerrière, humoriste et autrice ; Denis Bouchard, comédien ; Emmanuel Paul-Blain ; Emna Achour, humoriste et chroniqueuse ; Éric Charland, musique et chanson ; Gioberti François, marketing ; Jean-François Provençal, humoriste ; Jérôme 50, auteur-compositeur-interprète ; Jocelyn Bruno, musique ; Katherine Levac, humoriste ; Kevin Raphaël, animateur télé ; Leidina Bruno, coordonnatrice de transport ; Louis-Julien Gratton, organisateur d'OBNL ; Melissa Loiseau, enseignement ; Naomi Hilaire, autrice-compositrice-interprète ; Renzel Dashington, humoriste et producteur exécutif ; Sara Valcourt ; Simon Kearney, musicien

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