À l’automne de 1976, à l’âge de 19 ans, j’ai fait une tentative de suicide par l’absorption de tous les médicaments que j’avais pu trouver dans ma pharmacie. Par miracle, ma blonde de l’époque, aujourd’hui ma conjointe, m’a trouvé, inconscient, dans mon appartement. Je suis arrivé à l’hôpital juste à temps. Selon les médecins, je suis passé à un cheveu de la mort.

J’ai eu une chance inouïe. Contrairement à Amélie Champagne, dont Patrick Lagacé a raconté la mort tragique dans La Presse plus tôt cette semaine⁠1, je ne suis sorti des urgences que lorsqu’un lit fut disponible à l’unité des soins psychiatriques. J’ai été pris en charge par une formidable équipe de psychologues, psychiatres et infirmières. J’y suis resté quelques semaines, à faire le difficile travail qui allait me permettre de commencer à comprendre l’origine de mes difficultés. Il n’était pas question pour l’hôpital de me laisser sortir avant que j’aie passé le stade aigu de la maladie, et qu’un plan de traitement, comprenant de fréquents retours à l’hôpital, ait été établi.

Autrement dit, j’ai eu droit à tous les services qu’Amélie n’a pas obtenus, pour une raison qui ne m’échappe pas tant que ça.

Des années plus tard, j’ai passé beaucoup de temps dans deux hôpitaux de la région de Montréal au chevet de ma mère. J’ai vu la désorganisation, certains employés surchargés, d’autres moins travaillants. J’ai vu beaucoup de dévouement, mais aussi la désillusion et la déshumanisation.

Comme l’a bien dit Lagacé, des gens qui sont tombés entre les craques du système, chaque Québécois en connaît. C’est vrai pour les problèmes de santé physique, et probablement encore plus pour la santé mentale.

Canaliser la colère

Heureusement, ceux qui nous gouvernent sont de plus en plus conscients du problème. Le gouvernement Legault a annoncé en janvier dernier un plan de plus de 1 milliard de dollars sur cinq ans pour améliorer l’accès aux soins de santé mentale. Durant l’actuelle campagne électorale, chacun des grands partis a présenté des engagements en la matière. C’est un progrès extraordinaire.

Maintenant, ces plans d’action, ces engagements, ces centaines de millions aboutiront-ils à une amélioration réelle des soins en santé mentale ?

Nos gouvernements ayant été incapables de désengorger les urgences depuis au moins 40 ans, on peut être sceptique.

Qu’est-ce qui fera bouger les gouvernements ? La colère populaire, suggère Patrick Lagacé. Sans doute. Mais il ne faut pas seulement que les politiciens lancent des promesses et des plans. Il faut que la prise de conscience collective qui s’est entamée s’étende et s’approfondisse. Il faut que les tabous entourant – oui, encore aujourd’hui ! – les troubles mentaux tombent. Et, si la colère publique est peut-être nécessaire, il faut aussi que ce sentiment soit canalisé de manière efficace. Autrement dit, il doit être organisé.

Il existe déjà des organismes se consacrant à l’amélioration de la santé mentale et à la prévention du suicide. Il faut les soutenir, les renforcer, pour que leur vigilance et leur influence auprès des autorités soient encore plus fortes. Il faut faire de l’amélioration de la santé mentale un projet collectif, où chacun, organisation ou individu, accepte de porter une part de la responsabilité.

Des enquêtes sont en cours pour savoir pourquoi Amélie n’a pas obtenu le soutien auquel elle avait droit, peu importe son code postal. Pourquoi on ne l’a pas entourée, aidée, protégée.

Il y aura des conclusions, des recommandations. Le gouvernement, quel que soit le parti élu, va sûrement s’engager à mettre en œuvre les recommandations en question. Mais y aura-t-il réellement des résultats concrets, des résultats qui sauveront des vies ?

Pour s’en assurer, il faut des gens dévoués et déterminés pour suivre le dossier, talonner les élus et les fonctionnaires, alerter l’opinion publique, parce que c’est comme ça que les choses avancent dans une démocratie comme la nôtre. Bref, il faut une pression à la fois forte et continue.

Faisons en sorte, collectivement, que ce dossier devienne une priorité. Vraiment. En souvenir d’Amélie.

Pour de l’aide :

1-866-APPELLE

Consultez le site Suicide.ca Consultez la liste des centres de crise

Si vous êtes endeuillé (peu importe votre âge)

Consultez le site Deuil jeunesse Consultez la page Je suis endeuillé(e) par suicide 1. Lisez la chronique de Patrick Lagacé Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion