À la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans des centaines de villes et villages aux Pays-Bas, une cérémonie étrange faisait partie des festivités. La joie de voir l’occupant allemand parti après cinq ans, de retrouver sa liberté, de pouvoir manger à sa faim, tout ça n’était pas assez. On souhaitait de la vengeance, on voulait des coupables. Les soldats étant retournés en Allemagne, il ne restait que les collaborateurs. En effet, certains parmi eux ont été condamnés, plus tard, après des procès plus ou moins équitables.

On avait besoin de justice à court terme. Heureusement, il y avait des suspects évidents, faciles à identifier et dans une position sociale de second plan. Sous les yeux des autorités provisoires, parfois avec leur collaboration active, des femmes étaient traînées devant la foule en délire. On leur coupait les cheveux et leur rasait le crâne, avant de les marquer avec du goudron ou de la peinture. Des bourreaux volontaires, il y en avait suffisamment. Des hommes, exclusivement.

Ces femmes étaient soupçonnées d’avoir eu des relations sexuelles avec des Allemands. En amoureux, en couple, avec un enfant, en cachette, avec plusieurs soldats, peu importe. La rumeur suffisait comme preuve, la foule était le tribunal ; la joie d’assister à l’administration de la peine était l’argument concluant pour un verdict immédiat.

L’émotion sous-jacente était peu reluisante : nos femmes nous appartiennent. Elles n’ont pas le droit de choisir leur vie affective. Si tu ne couches pas avec moi ou un des nôtres, tu ne devrais pas coucher du tout.

Évidemment, les hommes qui avaient eu une relation avec une femme en Allemagne n’étaient pas visés. La victoire, on la consomme au lit s’il le faut.

Dans l’histoire, les exemples de cette misogynie acceptée comme valeur sociale sont légion. Pensons aux sorcières, ces femmes brûlées ou noyées parce que leur comportement social ne correspondait pas aux attentes de la majorité.

Aujourd’hui, nous sommes témoins d’incidents semblables. Pensons à Mahsa Amini, cette jeune femme kurde, morte après avoir été détenue par la police iranienne parce que sa tenue vestimentaire ne correspondait pas aux attentes des autorités religieuses⁠1. Dans cette théocratie, la morale est devenue la Loi. Le port obligatoire du voile y est une expression de la chasteté qu’on exige des femmes afin de les protéger. Il faut cacher ses cheveux en public parce qu’ils pourraient exciter des hommes innocents qui seraient incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles.

On impose de telles contraintes aux femmes seulement. La présence sociale des hommes va de soi. Ils s’habilleront comme ils le veulent, se raseront ou pas, et assis, écarteront les jambes sans gêne. Ils se fichent des regards des autres. La femme qui a un regard trop insistant par contre, elle sera interpellée, arrêtée, torturée au besoin.

Au Québec

Même au Québec, cette société qui se vante de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes, ce deux poids, deux mesures est saisissant. Avez-vous entendu, lors du débat sur la laïcité de l’État, des arguments contre le port par des enseignants du kaftan et d’autres vêtements traditionnels des hommes musulmans de l’Afrique du Nord ?

Par contre, quand il s’agit des jeunes femmes qui décident de porter le voile, on ne leur demande pas si elles le font pour maintenir la tradition de leur famille, leur village ou leur tribu.

On suppose aveuglément que c’est pour manifester leur religion, avec le préjugé aussi misogyne qu’opportuniste que ce choix leur est imposé par des hommes en autorité.

Le voile est un symbole de chasteté inventé par les chrétiens de Constantinople afin de donner à la Vierge un air encore plus humble, en suggérant que la virginité, celle des femmes évidemment, est une qualité admirable, à protéger et à promouvoir. Après la chute de Constantinople, ce symbole de chasteté a été adopté par l’Islam.

C’est pourquoi chez nous le voile, charmant sur la tête de Marie, provoque l’islamophobie sur la tête de Fatima. Ainsi, il est devenu un argument moral, légal et obligatoire afin d’interdire à certaines jeunes femmes québécoises de s’émanciper en choisissant le métier d’enseignante. Elles n’ont qu’à enlever leur voile, à nous montrer leurs cheveux. Sinon, qu’elles deviennent caissières de supermarché ou qu’elles restent à la maison.

1. Lisez « Décès de Mahsa Amini : au moins 31 civils tués depuis le début des manifestations » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion