L’impôt des particuliers a fait abondamment jaser jusqu’ici, dans la campagne électorale, mais les grandes questions concernant l’impôt des entreprises ont été presque oubliées. Pourtant les enjeux sont criants, surtout à la veille d’une récession.

L’impôt des PME

Au Québec — et seulement ici parce que ni le fédéral ni aucune autre province n’appliquent cette condition —, les PME incorporées qui n’embauchent pas l’équivalent de trois employés à temps plein n’ont pas accès aux crédits d’impôt relatifs à l’emploi et ne peuvent profiter comme les autres du taux réduit d’imposition de 3,2 %. Elles sont donc imposées à 11,5 %, le même taux que les grandes entreprises.

Pourtant, leur capacité à payer des impôts est inférieure à celle des grandes entreprises qui profitent d’économies d’échelle, d’un meilleur accès au financement et à moindre coût, et qui disposent de davantage de ressources pour composer avec la lourdeur administrative et réglementaire.

Cette condition se fonde sur un objectif de création d’emploi. Mais qu’en est-il du problème d’inégalité de traitement des entreprises ayant des caractéristiques similaires ?

Cette fiscalité sélective altère la concurrence entre elles. Celles qui sont visées sont souvent des start-ups et l’écart de taux avec les autres PME constitue pour plusieurs une barrière à leur expansion.

Ajouté à l’impôt fédéral de 9 %, le taux d’imposition de la start-up qui ne satisfait pas cette condition relative à l’emploi totalise donc 20,5 %. Or il s’agit de l’impôt au niveau de l’entreprise incorporée seulement. Lorsque les revenus de celle-ci sont versés à son propriétaire, un deuxième impôt s’applique au particulier. Finalement, sur chaque tranche de 100 $ en bénéfice réalisée par la start-up incorporée, une somme atteignant jusqu’à 59 $ doit être remise en impôt. Oui : 59 % d’impôt !

Seules les entreprises des secteurs primaire et manufacturier échappent à cette condition relative à l’emploi, mais elles ne représentent qu’un dixième des PME.

Les PME, c’est 98,1 % des entreprises. Plusieurs n’ont pas la vie facile ces temps-ci avec la hausse des taux d’intérêt, l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre, si bien que le nombre de dossiers d’insolvabilité déposés en juillet 2022 a augmenté de 48 % par rapport à l’année précédente. C’est donc souvent à bout de souffle et encadrées par des règles fiscales difficiles que les PME doivent se préparer pour la récession qui s’annonce.

L’impôt des grandes entreprises

Les grandes entreprises sont imposées au taux de 11,5 % au Québec et, pour les encourager à investir ici, elles peuvent bénéficier de congés de cotisation des employeurs au Fonds des services de santé et d’impôt sur les revenus pour une durée maximale de 15 ans. Ce taux de 11,5 % est affiché dans la loi, mais, après déduction des dépenses fiscales et des crédits d’impôt, le taux réel est souvent largement inférieur. Il est toutefois impossible de connaître l’impôt payé par une grande entreprise au Québec parce que les rapports financiers ne révèlent pas cette information.

L’idée d’augmenter la contribution des grandes entreprises qui dégagent des marges de profit extraordinaires gagne en popularité.

António Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, a déclaré le 3 août dernier : « J’appelle tous les gouvernements à taxer ces profits excessifs et à utiliser ces fonds pour soutenir les plus vulnérables en ces temps difficiles. » Une telle taxe a récemment été adoptée dans plusieurs pays. En Italie par exemple, elle est de 25 % sur les superprofits générés par les entreprises énergétiques et les recettes anticipées sont de 10 milliards d’euros. Au Canada, le budget de 2022 propose d’introduire un « dividende pour la relance » de 15 % sur les superprofits des banques et des assureurs vie, et les recettes estimées sont de 4 milliards de dollars.

Est-ce que ce dividende pour la relance pourrait s’appliquer aux sociétés énergétiques également, voire à l’ensemble des superprofits réalisés par les multinationales canadiennes ? Est-ce que la taxe aurait pu être plus gourmande ? Probablement. S’il existe une possibilité d’imposer davantage les superprofits, voilà peut-être l’occasion pour les provinces d’aller chercher des revenus supplémentaires. Il en existe, des superprofits au Québec. Par exemple, la Banque Nationale du Canada a enregistré des bénéfices nets avant impôt de 4,1 milliards de dollars pour son exercice 2021, comparativement à 2,8 milliards pour 2019, reflétant une augmentation de 46 %.

D’autres avenues existent, bien entendu, comme l’implantation d’un impôt minimum pour les entreprises qui ne paient pas leur juste part d’impôt ou encore, la taxation du chiffre d’affaires des grandes entreprises du numérique. Un impôt minimum existe déjà en Ontario, la loi américaine sur la réduction de l’inflation en prévoit la mise en place aux États-Unis à compter de 2023 et, bien sûr, il y a l’impôt minimum mondial qui doit voir le jour en 2024 à l’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Quant à la taxe sur les services numériques (TSN), elle est prévue au Canada pour le 1er janvier 2024, avec effet rétroactif à 2022. Toutefois, puisque l’impôt minimum mondial proposé par l’OCDE est préférable sous tous les points de vue, la TSN n’entrera pas en vigueur si l’impôt minimum mondial est effectivement implanté en 2024, comme ce devrait vraisemblablement être le cas.

Les plateformes électorales

Les partis politiques proposent des mesures ciblées ici et là, mais le problème important de fiscalité sélective qui altère la concurrence entre les entreprises n’a été soulevé que par deux partis, le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ). L’idée d’un impôt minimum pour les entreprises a été proposée par Québec solidaire. Le PQ a promis l’implantation d’une taxe sur les superprofits et une taxe de 3 % du chiffre d’affaires québécois des grandes entreprises du numérique. Le PLQ et le PQ prévoient récupérer des sommes importantes des paradis fiscaux, mais leur façon de procéder manque de précision.

La fiscalité est le prix à payer pour vivre en société. Continuons d’en parler encore et encore pendant cette campagne électorale.

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