En réponse au texte de Charles Taylor et Jocelyn Maclure sur la laïcité, « Une étrange laïcité », publié le 1er septembre

Il est souhaitable, lors d’une campagne électorale, de pouvoir débattre d’enjeux sociaux importants et la laïcité en fait indéniablement partie. Aussi faut-il saluer l’initiative de Charles Taylor et Jocelyn Maclure de relancer le débat⁠1, malgré leur hostilité à l’égard de certaines dispositions de la loi 21.

C’est vrai, le contexte historique du Québec imprégné par la domination de l’Église catholique a fait en sorte que la laïcité propre au Québec soit surtout marquée, comme en France, par la volonté de mettre à distance, au nom d’une citoyenneté commune, les identités religieuses et la défense de l’État contre le pouvoir clérical. Par contraste, le modèle anglo-saxon, davantage marqué par le protestantisme, cherche plutôt à préserver l’indépendance et les prérogatives des Églises contre l’ingérence de l’État.

Nous partageons également avec les auteurs la conviction que les finalités poursuivies par la laïcité devraient être « le traitement égal des citoyens ainsi que leur liberté de conscience, quel que soit leur système de croyances et de valeurs », et que l’atteinte de ces finalités exige la neutralité religieuse de l’État. C’est d’ailleurs, avec la séparation de l’État et des religions, les quatre principes énoncés par la Loi sur la laïcité de l’État.

Mais en plus de ces principes, la loi énonce une exigence pour le respect de la neutralité religieuse, soit l’interdiction de l’affichage religieux à certains employés de l’État en position d’autorité, dont les enseignants. C’est ce qui nous vaut les foudres de ses opposants et qui fait dire à Taylor et Maclure que cette « laïcité » « se préoccupe fortement des signes religieux ».

Des attentes à clarifier

Pour notre part, on ne saurait se contenter, surtout lorsqu’il s’agit d’éducation, de cette exigence minimale de neutralité d’apparence, car encore faut-il offrir un curriculum favorisant les savoirs éprouvés plutôt que les croyances, la liberté de pensée, la possibilité de mettre à distance les croyances et les formes traditionnelles d’assujettissement.

Comment parler de liberté de conscience et de liberté religieuse si l’on contribue à l’enfermement dans une identité religieuse héritée, si l’on n’offre pas aux élèves les moyens de l’examiner et d’en débattre ?

Nous attendons donc toujours que soient clarifiées les exigences scolaires en matière de laïcité, et cela pour tous les enfants, incluant ceux qui fréquentent des écoles à vocation religieuse. Ce sera, espérons-le, l’une des fonctions du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise qui remplacera le cours Éthique et culture religieuse.

Mais loin de suggérer un tel élargissement de la laïcité scolaire, Taylor et Maclure prônent plutôt le laisser faire et condamnent l’exigence minimale de neutralité religieuse des enseignants. Ils accusent le gouvernement de « fermer la carrière » d’enseignantes, de nuire à leurs aspirations professionnelles, de s’en prendre aux minorités vulnérables, aux immigrants, etc.

Rappelons que l’école est d’abord au service des élèves et non à celui des enseignants, et que les postes d’enseignants sont ouverts à tous. Ce sont plutôt certaines enseignantes qui refusent un devoir de réserve, absolutisent leur liberté d’afficher leurs convictions religieuses sans tenir compte du contexte éducatif, et restent sourdes au fait que le législateur doit rechercher l’équilibre entre divers droits et intérêts légitimes, notamment ceux des élèves et de leurs parents.

Taylor et Maclure nous disent en somme que l’identité citoyenne québécoise devrait accueillir comme un droit fondamental non négociable l’identité religieuse des enseignants et ignorer la charge idéologique que ces signes religieux véhiculent auprès de jeunes qui ne peuvent se soustraire à cette relation d’autorité.

Autrement dit, la seule liberté à protéger serait celle des enseignantes d’afficher leurs croyances, sans se soucier de celle des élèves, qui sont pourtant la raison d’être de l’école.

Mais le pire est le procès d’intention qui est fait au législateur, autant au Québec qu’en France, de vouloir s’en prendre expressément à l’immigration et aux « minorités religieuses vulnérables », dans le but de « restreindre leurs droits fondamentaux ». Autrement dit, les auteurs ne croient pas un instant à la volonté sincère du législateur, et des citoyens, de défendre les enfants, de faire respecter les droits des parents ou d’assurer un contexte social favorable à l’émancipation des femmes, quelle que soit leur origine. Tout cela ne serait qu’un masque à l’intolérance.

Promouvoir l'autonomie

Les auteurs nous disent finalement que le but de la laïcité « est atteint lorsque la religion majoritaire ne peut plus limiter la liberté de conscience des citoyens ». Il est vrai que le cléricalisme est chose du passé au Québec, et qu’il ne pèse plus sur les citoyens de culture chrétienne. Mais doit-on pour autant ignorer les pressions religieuses qui continuent à s’exercer sur d’autres citoyens ?

Pourquoi la modernité des uns ne serait-elle pas souhaitable pour les autres ?

Pourquoi faudrait-il fermer les yeux et abandonner les jeunes hassidiques, ceux sous l’emprise d’églises évangélistes, celles dans les écoles musulmanes qui n’ont pas le choix de ne pas porter le voile ? Le libre choix clamé par certaines efface-t-il la réalité de la vaste majorité des femmes soumises aux diktats de la charia ? Il est de la responsabilité de l’État de promouvoir l’autonomie de ces enfants, et ce n’est pas en banalisant l’intégrisme religieux, ou en refusant de le voir, qu’on y arrivera.

La laïcité « ouverte » est une laïcité sans bras ni jambes. L’État est ainsi amputé de mesures lui permettant de favoriser l’émancipation des individus face aux pressions religieuses indues. À l’ère des politiques identitaires, ce n’est pas d’une telle laïcité que le Québec a besoin.

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