La campagne électorale est l’occasion pour nos partis de droite de ressortir encore la promesse d’utiliser davantage le privé pour appuyer le réseau de la santé engorgé. C’est plus inquiétant lorsque cet engagement émane de la CAQ qui est actuellement au gouvernement et qui risque d’être réélue.

Bien que cette solution soit souvent mise de l’avant lors des discussions de bistro ou de soirées familiales, son mérite n’est pas soutenu par des données probantes. Pire, le développement du privé dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre risque de diminuer l’accès aux services, surtout pour les personnes âgées et celles avec de multiples maladies chroniques.

Le Québec et le Canada utilisent déjà beaucoup l’entreprise privée pour la prestation de services. Pensons aux cliniques médicales et dentaires, aux pharmacies, aux cliniques de physiothérapie, aux cabinets de psychologues. Il y a aussi les CHSLD privés, les résidences pour personnes âgées et les agences de placement d’infirmières et d’autres personnels de santé et services sociaux. Pour les services hospitaliers, l’utilisation du privé se limite aux cliniques d’imagerie et à quelques cliniques de chirurgie pour les cataractes ou des opérations orthopédiques.

L’engagement de la CAQ est de développer un réseau privé d’hôpitaux offrant des services d’urgence mineure et de chirurgie pour diminuer les listes d’attente et favoriser l’accès.

On invoque souvent que le privé serait beaucoup plus performant et moins coûteux que le public. Les données probantes démentent toutefois cette affirmation. Dans une analyse de toutes les études réalisées sur cette question, Devereaux et ses collègues en 2002 ont plutôt démontré que les établissements privés à but lucratif présentent un taux de mortalité faiblement (2 %) mais significativement supérieur aux hôpitaux publics ou privés sans but lucratif⁠1. Les établissements privés entraînent des coûts significativement plus élevés (19 % en moyenne) que les établissements publics, profit oblige⁠2. L’expérience de la Clinique Rockland présentait des résultats contraires pour les coûts, mais les propriétaires de la clinique n’ont pas considéré que leurs patients sont forts différents de ceux recevant des soins à l’hôpital : plus jeunes, moins de maladies concomitantes et conditions moins complexes. Dans les comparaisons d’efficience, soulignons aussi que les établissements publics ont souvent des programmes opératoires perturbés par la survenue de cas urgents et imprévus. Ils doivent aussi assumer les soins requis lors d’éventuelles complications survenues chez les personnes opérées au privé.

Temps d’attente

On prétend aussi que l’utilisation du privé permet de diminuer les listes d’attente et d’améliorer l’accès. L’expérience de l’Alberta et du Manitoba pour la cataracte démontre que le temps d’attente ne diminue pas par l’introduction du privé⁠3. La capacité totale du système est demeurée la même : ça ne fait que transférer des patients du public au privé, sans impact sur les listes d’attente. En plus, les coûts ont significativement augmenté. C’était il y a 40 ans, mais les mythes ont la vie dure.

Le développement du privé risque en revanche d’avoir des effets pervers importants sur notre réseau public. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les médecins, infirmières, inhalothérapeutes et autres personnels engagés par le privé seront drainés du réseau public, amplifiant d’autant la pénurie. Ces professionnels seront attirés par des bâtiments plus luxueux, des équipements plus modernes, des heures de travail plus intéressantes et des rémunérations plus élevées. Mais ces avantages ont un prix et la facture refilée à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) risque d’être plus salée. L’expérience récente des cliniques de fertilité l’a bien démontré.

Nos taxes et impôts subventionneront ainsi le secteur privé dans une compétition où le public devra composer avec davantage de restrictions budgétaires.

Cela entraînera en fait une diminution de la capacité chirurgicale du réseau public. L’effet net sera à la limite un transfert du public vers le privé, sans diminution nette des temps d’attente. Ensuite, le privé s’intéressera aux cas plus simples et aux patients plus jeunes, laissant les personnes aînées ou les cas complexes sur les listes d’attente des hôpitaux publics. Enfin, comme il y a un profit à la carte, certains médecins pourraient être tentés de privilégier leur clinique privée au détriment de l’établissement public, tant pour leur disponibilité que pour la référence des patients. On a déjà observé ce phénomène pour la radiologie.

Aux ardents partisans du privé en santé, je rappellerais en terminant que lors de la pandémie, le privé n’a pas démontré sa supériorité, loin de là. Rappelons-nous les catastrophes dans certains CHLSD privés, l’impuissance des résidences pour aînés et leur appel à la rescousse du réseau public, ou encore la contribution du personnel des agences privées de placement aux éclosions. Le privé recherche des bénéfices et laisse les risques et les surcoûts au public. On l’a vu dans les partenariats public-privé. L’attitude des résidences privées qui refusent de continuer à héberger des personnes en perte d’autonomie est un autre exemple ; dès que ce n’est plus payant, on transfère sans vergogne au public. Et en plus, on accuse le réseau public de ne pas les soutenir adéquatement.

Faute de personnel et de financement, des salles d’opération de nos hôpitaux publics sont fermées ou leur utilisation est réduite. La pénurie de personnel ampute aussi la capacité des hôpitaux en lits de soins intensifs, un élément essentiel pour assurer des soins post-opératoires. Finalement, l’accès aux lits hospitaliers est limité par des personnes en attente d’une admission en CHSLD, étant donné notre incapacité à offrir des soins à domicile adéquat.

Pour diminuer les temps d’attente en chirurgie, il vaut donc mieux s’attaquer à ces facteurs : améliorer l’offre de soins à domicile, élaborer un plan de main-d’œuvre pour attirer et surtout retenir le personnel, rouvrir des lits de soins intensifs et utiliser nos salles d’opération à pleine capacité. Quand on est assoiffé en plein désert, on recherche désespérément une oasis. Méfions-nous cependant des mirages. La consolidation de notre réseau public représente la vraie solution.

1. Lisez « A systematic review and metaanalysis of studies comparing mortality rates of private for-profit and private not-for-profit hospitals » (en anglais) 2. Lisez « Payments for care at private for-profit and private not-for-profit hospitals : a systematic review and meta-analysis » (en anglais) 3. Lisez « Private Health Care in Canada : Savior or Siren ? » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion