Dans la discussion, saine et urgente, sur la violence dont ont récemment été victimes des politiciens canadiens, il est crucial de bien choisir les mots qu’on emploie et de poser le bon le diagnostic. De quelque couleur politique que l’on soit, on a le devoir d’être clair sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas dans une société démocratique. Il faut, notamment, faire la différence entre « attiser » la colère populaire et la « canaliser ».

Au Québec, la députée libérale Marwah Rizky a reproché au chef conservateur, Éric Duhaime, la déclaration suivante : « Notre objectif, c’était justement de prendre toute cette grogne qui était à l’extérieur du parlement, puis de la faire entrer dans les murs du parlement. » M. Duhaime est un champion de l’ambiguïté. Cette déclaration ne fait pas exception.

Certains y comprendront que le chef conservateur appelle à un « 6-Janvier » québécois, où une population en colère envahirait l’Assemblée nationale pour y imposer de force un changement de régime. D’autres y verront une stratégie politique parfaitement correcte, souhaitable même : faire en sorte que la colère de la foule s’exprime au sein des institutions démocratiques plutôt que de polluer les médias sociaux et de gâcher la vie des candidats. Où se situe le « vrai » Éric Duhaime ?

Il est important pour la suite du débat d’affirmer que toutes les idées, même les plus farfelues, doivent avoir droit de cité, pourvu qu’elles n’appellent pas à la violence ou au mépris de la démocratie et de la société de droit.

Donald Trump a parfaitement le droit de dire toutes les conneries imaginables ; les électeurs américains jugeront. Là où l’ancien président dépasse les bornes, c’est lorsqu’il réfute les résultats électoraux et rejette la loi lorsqu’ils ne font pas son affaire.

Même les complotistes devraient pouvoir exprimer leurs idées, pourvu que celles-ci s’inscrivent à l’intérieur des normes démocratiques. Dès que ces idées appellent à la violence ou à la haine d’autrui, dès qu’elles incitent au mépris des institutions démocratiques et juridiques, elles franchissent la ligne qui sépare la démocratie de la dictature et de l’anarchie.

Ne pas ignorer la frustration

Il existe une frustration réelle au sein d’une frange de la population. L’expérience de l’Europe et des États-Unis montre que la classe politique aurait tort de l’ignorer en espérant que cette colère finisse par se tarir. Bien sûr, les politiciens devraient éviter de l’attiser (Le Petit Robert : « rendre plus vif »). Mais ils devraient certainement chercher à la canaliser (« diriger dans un sens déterminé ») à l’intérieur de nos institutions démocratiques.

S’ils ne le font pas, la grogne va croître, avec pour conséquences des menaces contre les candidats, des convois de camionneurs, et peut-être un jour un « Donald Trump » québécois.

Qu’un ou des partis politiques s’intéressent à cette colère populaire et cherchent à la harnacher dans le cadre démocratique est donc une excellente chose. Cependant, ils portent la responsabilité de rejeter et de dénoncer clairement toute violence verbale ou physique et tout appel aux violations de la loi ou de la démocratie.

Comme l’a bien clairement démontré vendredi dans La Presse le chroniqueur Patrick Lagacé, le chef conservateur Éric Duhaime ne s’est pas acquitté de cette responsabilité, en ne dénonçant pas immédiatement et sans ambiguïté les actes de violence commis contre les députés Enrico Ciccone et Marwah Rizky. Il a aussi joué un jeu dangereux en se prétendant le représentant du « peuple » (avec seulement 15 % des intentions de vote…) contre les autres politiciens qui, eux, auraient besoin de protection parce qu’ils travailleraient contre les intérêts de ce « peuple ».

Lisez « Nous autres, on n’a pas besoin de gardes du corps… »

M. Duhaime est un homme très intelligent. Il sait très bien ce qu’il fait, et c’est pourquoi ces propos à double sens sont dangereux. Enfin, vendredi, il s’est plus clairement exprimé à ce sujet, invitant ses partisans à exprimer leur colère « de manière démocratique » en allant voter le 3 octobre. « Notre devoir, comme leader, est de calmer le monde », a ajouté le chef conservateur. Son devoir à lui, maintenant, est de faire ce qu’il a tardivement décidé de prêcher.

Cela dit, les autres partis ont également une responsabilité. Ils doivent chercher à comprendre et à canaliser la grogne de la foule, plutôt que de la mépriser et la ridiculiser, ce qui ne ferait que gonfler la vague (Justin Trudeau peut en témoigner).

Tous les chefs s’entendent maintenant sur le fait qu’ils ont la responsabilité de calmer le jeu. Si tous s’en acquittent adéquatement, notre démocratie sortira renforcée de cet épisode inquiétant.

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