En Ukraine, l’été nucléaire viendra-t-il avant l’hiver ? D’après l’évaluation de l’Institute for the Study of War (ISW), les forces russes et ukrainiennes ont en effet échangé des accusations réciproques de tirs d’obus dangereux sur la centrale nucléaire de Zaporijjia, occupée par les Russes.

Les nouveaux bombardements russes du 6 août ont apparemment endommagé trois capteurs de radiation et blessé un travailleur. Il s’agissait de la deuxième frappe à frapper l’usine en plusieurs jours. La Russie a affirmé que l’Ukraine était responsable de ces tirs.

Selon le ministère de la Défense du Royaume-Uni, les forces russes utilisent probablement la centrale comme un bouclier, en déployant des troupes et des équipements sur le site afin de bombarder les positions ukrainiennes.

Pour comprendre la véhémence des accusations proférées, il faut savoir que le spectre d’une nouvelle catastrophe comme celle de Tchernobyl, cette fois délibérément provoquée ou malheureusement induite par la bêtise ou la maladresse des armées en présence, hante tous les esprits, de l’homme de la rue jusqu’au président.

Souvenons-nous : la catastrophe originelle s’est produite le 26 avril 1986 à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Une explosion et un incendie monstre ont alors libéré de grandes quantités de particules radioactives qui ont contaminé l’atmosphère. L’immense nuage qui a suivi s’est étendu sur une grande partie de l’URSS et de l’Europe de l’Ouest.

Tchernobyl est encore aujourd’hui considéré comme l’un des deux pires accidents nucléaires de l’histoire (l’autre étant la catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue au Japon en 2011).

Rappelons ici que trois ans après son indépendance, en 1991, l’Ukraine a signé le mémorandum de Budapest, cédant tout son arsenal nucléaire à la Russie. Par cet acte, l’Ukraine a volontairement renoncé à la dissuasion nucléaire – la doctrine militaire –, le fondement de la sécurité internationale entre les grandes puissances nucléaires depuis 1945.

En échange, la Russie a reconnu les frontières de l’Ukraine suivant la dissolution de l’Union soviétique. Les membres de Conseil de sécurité de l’ONU saluèrent à l’époque la décision de l’Ukraine de renoncer aux armes nucléaires en lui promettant de faciliter la transition de son économie et la construction de son jeune État. Une guerre entre l’Ukraine et la Russie paraissait alors impensable des points de vue tant ukrainien que russe ou occidental.

Lundi, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a qualifié de « suicidaire » toute attaque contre des centrales nucléaires et a appelé à l’arrêt des opérations militaires autour de celle de Zaporijjia, afin que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) puisse accéder au site.

Le chef de l’AIEA a d’ailleurs décrit la situation comme « complètement hors de contrôle » et une menace grave pour la santé publique et l’environnement en Ukraine et bien au-delà de ses frontières.

Le patron de l’énergéticien public ukrainien Energoatom, Petro Kotin, a pour sa part appelé à la création d’une zone démilitarisée autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia : « Nous demandons à la communauté internationale et à tous nos partenaires […] de faire le nécessaire en vue d’un retrait des envahisseurs du secteur de la centrale et en vue de la création d’une zone démilitarisée. »

Construite à l’époque soviétique, la centrale nucléaire de Zaporijjia est la plus importante d’Europe. Ses six réacteurs à eau pressurisée (dont au moins deux sont actuellement en fonctionnement) peuvent produire de l’électricité pour 4 millions de foyers.

Les réacteurs sont conçus pour résister à des chocs importants – ils sont protégés par de l’acier et du béton armé. Ils disposent aussi de systèmes de protection contre les incendies, bien qu’une frappe de missile pourrait s’avérer plus problématique.

Les bâtiments abritant le combustible usé, cependant, ne sont pas construits avec un niveau de protection similaire. Ainsi, une fuite accidentelle ou volontaire de combustible usé résultant des combats constitue probablement un risque plus important qu’une brèche catastrophique dans un réacteur.

Signe de l’importance politique et symbolique de l’attaque : le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, en a fait mention dans une de ses allocutions vespérales avec une référence évidente à Tchernobyl : « Aucune nation au monde ne peut se sentir en sécurité lorsqu’un État terroriste tire sur une centrale nucléaire. Dieu nous en préserve. Si quelque chose d’irréparable se produit, personne n’arrêtera le vent qui propagera la contamination radioactive. Par conséquent, une réponse de principe de la communauté internationale à ces attaques russes contre la centrale nucléaire de Zaporijjia – la plus grande d’Europe – est nécessaire dès maintenant. »

* Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs uniquement et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de Sécurité publique Canada ou du gouvernement canadien.

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